WILMOS BEATRICE - La dernière sonate de l’hiver (p.19-21)
… Le libraire qui me voyait accroupi devant la pile de 33
tours me demanda s’il pouvait m’aider. Je lui montrai le disque :
- Vous croyez vraiment que cet enregistrement a été fait pendant le siège de Leningrad ?
Il me prit la pochette des mains :
- Archiv Russkaïa, Moscou, 1953, lut-il à voix haute. C’est une réédition mais le concert a bien été enregistré en 1941 à Leningrad.
Il réfléchit un instant puis continua :
Décembre 1941… La ville est assiégée depuis septembre. Presque trois mois. Température : trente degrés au-dessous de zéro. Déjà plusieurs milliers de morts à cause du froid et de la faim. Il fallait avoir du courage pour jouer du piano à cette époque !
Il me rendit le disque. Au dos de la pochette, je lus cet avertissement : « La performance du soliste a paru compenser suffisamment quelques défauts techniques inhérents à l’ancienneté de cet enregistrement et aux conditions précaires de prise de son. » Puis un texte : « Né en 1901 à Saint-Pétersbourg, Vladimir Solianovsky a été l’élève de Leonid Nikolaev au Conservatoire. Interprète inégalé de Scriabine, il a donné des concerts en Russie et en France. Il est mort à Lugava (Estonie) en 1942. »
Une fois arrivé chez moi, j’écoutai Vladimir Solianovsky jouer les Douze Etudes de Scriabine et, alors que je suis si peu musicien, j’en fus bouleversé
La même interrogation me revint : comment pouvait-on faire de la musique dans une ville en guerre ? Pire même : dans une ville, sur laquelle l’étau du froid, de la faim, de la mort ne cessait plus de se resserrer.
Je crus trouver une première réponse dans la musique de Scriabine. Dans cette énergie dévorante comme les tourbillons d’un incendie, dans ces éclats sonores qui jaillissaient des doigts du pianiste. Au terme de cet embrasement musical surgissait soudain la onzième étude et j’entendais l’infinie lassitude dont elle était porteuse. Ni désespérée ni tragique. Mais épuisée, à bout de souffle aurait-on dit. Alourdie d’un deuil pour lequel il n’est plus de larmes. Puis, juste après, la douzième et dernière étude, vibrante de joie de vivre. Elle contredisait la détresse de la précédente…..
- Vous croyez vraiment que cet enregistrement a été fait pendant le siège de Leningrad ?
Il me prit la pochette des mains :
- Archiv Russkaïa, Moscou, 1953, lut-il à voix haute. C’est une réédition mais le concert a bien été enregistré en 1941 à Leningrad.
Il réfléchit un instant puis continua :
Décembre 1941… La ville est assiégée depuis septembre. Presque trois mois. Température : trente degrés au-dessous de zéro. Déjà plusieurs milliers de morts à cause du froid et de la faim. Il fallait avoir du courage pour jouer du piano à cette époque !
Il me rendit le disque. Au dos de la pochette, je lus cet avertissement : « La performance du soliste a paru compenser suffisamment quelques défauts techniques inhérents à l’ancienneté de cet enregistrement et aux conditions précaires de prise de son. » Puis un texte : « Né en 1901 à Saint-Pétersbourg, Vladimir Solianovsky a été l’élève de Leonid Nikolaev au Conservatoire. Interprète inégalé de Scriabine, il a donné des concerts en Russie et en France. Il est mort à Lugava (Estonie) en 1942. »
Une fois arrivé chez moi, j’écoutai Vladimir Solianovsky jouer les Douze Etudes de Scriabine et, alors que je suis si peu musicien, j’en fus bouleversé
La même interrogation me revint : comment pouvait-on faire de la musique dans une ville en guerre ? Pire même : dans une ville, sur laquelle l’étau du froid, de la faim, de la mort ne cessait plus de se resserrer.
Je crus trouver une première réponse dans la musique de Scriabine. Dans cette énergie dévorante comme les tourbillons d’un incendie, dans ces éclats sonores qui jaillissaient des doigts du pianiste. Au terme de cet embrasement musical surgissait soudain la onzième étude et j’entendais l’infinie lassitude dont elle était porteuse. Ni désespérée ni tragique. Mais épuisée, à bout de souffle aurait-on dit. Alourdie d’un deuil pour lequel il n’est plus de larmes. Puis, juste après, la douzième et dernière étude, vibrante de joie de vivre. Elle contredisait la détresse de la précédente…..