TUNSTRÖM Göran - L'oratorio de Noël (p.15-16)
..."Jean‑Sébastien Bach se servit
des vibrations de l'air pour créer un état invisible qui englobe le monde
entier ‑ l'Etat de Dieu ‑ et il y pénétra de son vivant, tout comme le peintre
chinois entre dans son tableau", écrit Oskar Loerke.
Ça, c'était Bach. Mais qui étaient‑ils, ceux qui avalent suffisamment de force pour maintenir vivantes les "catégories de l'allégresse" ? Qui entretient la langue pour qu' elle reste disponible, toujours, année après année ?
Qu'est‑ce qui en moi avait eu la force ? Quels sont les instants qui façonnent notre vie, quels visages sont éclairés par les premiers rayons pâles de notre conscience et nous fournissent une orientation ?
La porte de l'église était lourde et difficile à ouvrir, un instant je restai dehors, dans la neige, hésitant, avant de la pousser et d'entrer dans la grotte inondée de lumière.
- Soyez les bienvenus, dis‑je à l'orchestre et aux chœurs assis là-bas devant et je laissai tomber par terre mon pardessus et mon écharpe. Je m'appelle Victor Udde et vous pouvez vous féliciter de m'avoir comme chef d'orchestre. Car qui d'autre pourrait croire en une entreprise aussi insensée que celle de diriger un chœur triomphant de nos jours ? C'est en effet une tradition qui (mais cela ne les regardait pas, ça, c'était mon histoire) remonte à pas mal d'années. Il n'est pas facile, comme vous le savez, de rassembler autant de musiciens dans une petite ville. Et pourtant...
Ma moelle épinière se mit à chanter, c'était toujours pareil. Loin au fond de ma conscience des portes s'ouvraient, des visages se montraient... Mais où sont les trompettes ? Où est Fischer-Dieskau ? Où sont donc les Wiener Sängerknaben ? Où est Van Kesteren ? Cela donne un tel éclat à l'Evangéliste, s'il s'agit de lui, vous savez. Connaissez‑vous quoi que ce soit à la musique ? Cela vaut‑il la peine de sacrifier la lecture de quelques bons livres, de sacrifier l'ambition d'étudier la peinture des icônes ou le Bhagavad‑gîtà pour vous ? Supposons que oui et louons le mystère de la nativité. Jauchzet, frohlocket ! Auf, preiset die Tage ! Trompettes et timbales, où êtes‑vous ?
La porte était ouverte. J'entendis ma voix se calmer, un peu.
‑ Des œuvres comme celle-ci, vous savez, étaient écrites hebdomadairement pour le dimanche. Le lundi et le mardi on établissait les partitions. Toute la famille Bach s'y attelait, on ne peut distinguer l'écriture de Jean‑Sébastien de celle de sa femme, louée soit sa mémoire. Le mercredi et le jeudi on faisait les copies, le vendredi et le samedi, on répétait, la course était terminée et on pouvait aller boire un café en paix. Cela dura cinq ou six années complètes, rappelez‑vous, ils disposaient à cette époque d'un tas de formules pour les aider : d'une emblématique. Ce processus de création auquel nous attachons aujourd'hui tant d'importance n'était alors qu'un coloriage d'ensemble. L'émotion recherchée était plus ou moins provoquée par ces emblèmes. Ces formules sont un bien public. Comme un meuble. Une chaise. Une chaise doit avoir certaines propriétés : des pieds, un dossier, un siège. Mais Van Gogh nous a laissé une chaise aussi. Nous avons les chaises de Picasso ‑ c'est de celles-là qu'on se souvient!..
Ça, c'était Bach. Mais qui étaient‑ils, ceux qui avalent suffisamment de force pour maintenir vivantes les "catégories de l'allégresse" ? Qui entretient la langue pour qu' elle reste disponible, toujours, année après année ?
Qu'est‑ce qui en moi avait eu la force ? Quels sont les instants qui façonnent notre vie, quels visages sont éclairés par les premiers rayons pâles de notre conscience et nous fournissent une orientation ?
La porte de l'église était lourde et difficile à ouvrir, un instant je restai dehors, dans la neige, hésitant, avant de la pousser et d'entrer dans la grotte inondée de lumière.
- Soyez les bienvenus, dis‑je à l'orchestre et aux chœurs assis là-bas devant et je laissai tomber par terre mon pardessus et mon écharpe. Je m'appelle Victor Udde et vous pouvez vous féliciter de m'avoir comme chef d'orchestre. Car qui d'autre pourrait croire en une entreprise aussi insensée que celle de diriger un chœur triomphant de nos jours ? C'est en effet une tradition qui (mais cela ne les regardait pas, ça, c'était mon histoire) remonte à pas mal d'années. Il n'est pas facile, comme vous le savez, de rassembler autant de musiciens dans une petite ville. Et pourtant...
Ma moelle épinière se mit à chanter, c'était toujours pareil. Loin au fond de ma conscience des portes s'ouvraient, des visages se montraient... Mais où sont les trompettes ? Où est Fischer-Dieskau ? Où sont donc les Wiener Sängerknaben ? Où est Van Kesteren ? Cela donne un tel éclat à l'Evangéliste, s'il s'agit de lui, vous savez. Connaissez‑vous quoi que ce soit à la musique ? Cela vaut‑il la peine de sacrifier la lecture de quelques bons livres, de sacrifier l'ambition d'étudier la peinture des icônes ou le Bhagavad‑gîtà pour vous ? Supposons que oui et louons le mystère de la nativité. Jauchzet, frohlocket ! Auf, preiset die Tage ! Trompettes et timbales, où êtes‑vous ?
La porte était ouverte. J'entendis ma voix se calmer, un peu.
‑ Des œuvres comme celle-ci, vous savez, étaient écrites hebdomadairement pour le dimanche. Le lundi et le mardi on établissait les partitions. Toute la famille Bach s'y attelait, on ne peut distinguer l'écriture de Jean‑Sébastien de celle de sa femme, louée soit sa mémoire. Le mercredi et le jeudi on faisait les copies, le vendredi et le samedi, on répétait, la course était terminée et on pouvait aller boire un café en paix. Cela dura cinq ou six années complètes, rappelez‑vous, ils disposaient à cette époque d'un tas de formules pour les aider : d'une emblématique. Ce processus de création auquel nous attachons aujourd'hui tant d'importance n'était alors qu'un coloriage d'ensemble. L'émotion recherchée était plus ou moins provoquée par ces emblèmes. Ces formules sont un bien public. Comme un meuble. Une chaise. Une chaise doit avoir certaines propriétés : des pieds, un dossier, un siège. Mais Van Gogh nous a laissé une chaise aussi. Nous avons les chaises de Picasso ‑ c'est de celles-là qu'on se souvient!..