CHARRIERE Christian - Les vergers du ciel (p.44-45)
... "Il ne faut pas t'inquiéter", dit mon père. Sa position allongée, le renversement de sa tête sur l'oreiller, modifiaient étrangement sa voix, la rendaient encore plus fragile, encore plus tremblante. On aurait dit qu'il me téléphonait d'un autre continent. "Non, il ne faut pas t'inquiéter. Ce malaise n'était rien. Je dois faire un peu de cholestérol sans doute. Pas de quoi fouetter un cha-cha-cha. Il n'est pas né le bûcheron qui abattra le Grand Antonio. Mais toi..." Il se retourné péniblement sur le lit pour me considérer. "Mais toi... Sais tu que sur ce sacré Berznikov fonde les plus grands espoirs sur ton avenir? Il dit que c'est comme s'il y avait de l'or qui dégoulinait de l'extrémité de tes doigts. Il dit qu'à ton âge tu as déjà l’étoffe d'un virtuose. Il dit que tu interprètes, comme jamais il ne l'a entendue, cette petite mélodie de Grieg... ou Brick... ou Frick.
- De Grieg, papa.
- Oui, c'est cela même. De Grieg!Il dit que le grand Alfred Cortot ne saurait faire mieux que toi."
J'exprimai mon étonnement. Chaque fois que je jouais devant le comte Berznikov, celui-ci s'emportait, me promettait "un an de forteresse" ou assurait que s'il y avait une justice je méritais d'être fusillé "haut et court" pour reprendre sa propre expression. "Oui, il a toujours été ainsi, dit mon père. On n'y peut rien. la beauté le rend furieux. C'est un trait de caractère. Je me souviens qu'autrefois à paris, quand il rencontrait une femme qui lui plaisait, il s'empressait avant toutes choses de l'insulter, de lui dire qu'il fallait la rouler dans le goudron, puis l'emplumer et lui distribuer quelques coups de verges supplémentaires. Mais crois-moi, il est plein d'admiration pour toi. D'ailleurs... Je ne devrais peut-être pas te le dire... mais il te réserve pour ces prochains jours une petite surprise, oui, une toute petite surprise...
- De Grieg, papa.
- Oui, c'est cela même. De Grieg!Il dit que le grand Alfred Cortot ne saurait faire mieux que toi."
J'exprimai mon étonnement. Chaque fois que je jouais devant le comte Berznikov, celui-ci s'emportait, me promettait "un an de forteresse" ou assurait que s'il y avait une justice je méritais d'être fusillé "haut et court" pour reprendre sa propre expression. "Oui, il a toujours été ainsi, dit mon père. On n'y peut rien. la beauté le rend furieux. C'est un trait de caractère. Je me souviens qu'autrefois à paris, quand il rencontrait une femme qui lui plaisait, il s'empressait avant toutes choses de l'insulter, de lui dire qu'il fallait la rouler dans le goudron, puis l'emplumer et lui distribuer quelques coups de verges supplémentaires. Mais crois-moi, il est plein d'admiration pour toi. D'ailleurs... Je ne devrais peut-être pas te le dire... mais il te réserve pour ces prochains jours une petite surprise, oui, une toute petite surprise...