LE MAIRE Bruno - Musique absolue (p. 67-68)
... Avant de rentrer en répétition, il demandait aux archives de lui sortir les fac simile des éditions originales des œuvres. Il les scrutait. Il les annotait au crayon. A Berlin, un soir, les gardiens retrouvèrent Carlos enfermé dans la salle des archives de la Philarmonie, il avait oublié de les avertir de sa présence. "Pardonnez-moi, messieurs, je travaillais et maintenant je cherche la sortie." Aucun chef ne montait à son pupitre aussi bien préparé que Carlos. Pourtant, il ne rechignait pas à assister aux répétitions des autres chefs, au contraire, il leur en faisait la demande : Mutti, Sawallisch, Karajan dans les dernières années. A Salzbourg, il se cachait derrière une colonne du grand théâtre et, la tête penchée, le visage appuyé dans la paume, il écoutait les répétitions. Il avait pour Karajan un respect teinté de fascination, sans doute en raison de la force que ce petit bonhomme en acier trempé dégageait, tout le contraire de sa fragilité à lui. Donc, dans son esprit, la répétition ne correspondait en rien à ce que vous entendez, en France, par une répétition. Keine Wiederholung : eine Probe. La répétition démarrait au moment précis où il pouvait tenter ce que personne avant lui, vraiment personne, ne voulait avoir tenté. ou osé tenter. Il disait : "Il faut tâtonner. Tout peut arriver si vous tâtonnez. Mais il faut tâtonner." Vous comprenez? Vous comprenez un instant ce que cela signifie? Les instruments, il demandait à les déplacer. Mettre les percussions à un autre bout de la pièce, juste pour voir. Il supprimait une flûte sur deux. Il ralentissait les tempi. Il poussait les pianissimi à la limite du silence. Il fallait tout essayer...