ENQUIST Anne - Contrepoint (p.142-143)
Variations 20
La lumière de la lampe du piano formait un cercle protecteur dont la partition, le clavier et les mains étaient prisonniers. Le réglage de la lampe exigeait une grande précision. Quand la tête était trop tournée vers la partition apparaissait sur les touches une bande d'ombre qui détournait l'attention. Trop orientée de l'autre côté, la lampe éblouissait les yeux. Quand on la fixait trop haut, on ne voyait rien, trop bas, on se cognait la tête en se penchant au dessus des touches.
Avant de se mettre à jouer, la femme prenait le temps d'installer la lampe dans la position parfaite, comme un geôlier qui contrôle les murs d'une cellule à la recherche de ce qui n'a rien à y faire puis referme la porte. Sauf que, en l’occurrence, elle restait à l'intérieur. Sauf que les murs étaient faits de lumière. Sauf que la durée de la peine n'avait pas été fixée.
Derrière les parois du cachot se dressait l'ombre où se dissimulait la source d'une escalade dans l'effroi. Il y avait la pièce dans toute son étendue, la table y occupant une large place avec son fardeau de papiers, de livres et de photos. Il y avait des fenêtres, derrière son dos, invisibles. Au delà des fenêtres commençait le monde que tous aimaient, un monde où on était MAINTENANT, où les traces d'autrefois s'effaçaient facilement, où les façades ne demandaient qu'à être peintes et où les arbres aspiraient à l'arrivée du printemps.
Le printemps d'autrefois, passe encore. Qui sait, peut-être était-ce le printemps dans la tête de Bach quand il avait composé la vingtième variation, pleine de ces joyeux accords ascendants, sans cesse arrosés de gouttes de pluie staccato, exécutés par l'autre main...
La lumière de la lampe du piano formait un cercle protecteur dont la partition, le clavier et les mains étaient prisonniers. Le réglage de la lampe exigeait une grande précision. Quand la tête était trop tournée vers la partition apparaissait sur les touches une bande d'ombre qui détournait l'attention. Trop orientée de l'autre côté, la lampe éblouissait les yeux. Quand on la fixait trop haut, on ne voyait rien, trop bas, on se cognait la tête en se penchant au dessus des touches.
Avant de se mettre à jouer, la femme prenait le temps d'installer la lampe dans la position parfaite, comme un geôlier qui contrôle les murs d'une cellule à la recherche de ce qui n'a rien à y faire puis referme la porte. Sauf que, en l’occurrence, elle restait à l'intérieur. Sauf que les murs étaient faits de lumière. Sauf que la durée de la peine n'avait pas été fixée.
Derrière les parois du cachot se dressait l'ombre où se dissimulait la source d'une escalade dans l'effroi. Il y avait la pièce dans toute son étendue, la table y occupant une large place avec son fardeau de papiers, de livres et de photos. Il y avait des fenêtres, derrière son dos, invisibles. Au delà des fenêtres commençait le monde que tous aimaient, un monde où on était MAINTENANT, où les traces d'autrefois s'effaçaient facilement, où les façades ne demandaient qu'à être peintes et où les arbres aspiraient à l'arrivée du printemps.
Le printemps d'autrefois, passe encore. Qui sait, peut-être était-ce le printemps dans la tête de Bach quand il avait composé la vingtième variation, pleine de ces joyeux accords ascendants, sans cesse arrosés de gouttes de pluie staccato, exécutés par l'autre main...