JACOBI Carl - Le piano satanique (p.26-28)
... La question
s'avérait tellement prosaïque, si concrète, que j'en fus désappointé. Être tiré
de son appartement à une heure aussi indue, avoir à se déplacer si loin, se
retrouver dans un tel décor, pour se voir poser une question aussi banale sur
votre profession était réellement une énorme déception.
‑ De fait, rétorquai‑je, composer de la musique ne diffère guère de l'écriture de, eh bien... disons de fiction. Moitié inspiration, moitié connaissance du métier. Un thème central, quelques notes de mélodie qui me passent par la tête. Je me rends immédiatement à mon piano et en joue le plus possible, puis j'inscris les notes sur le papier, si ma mémoire ne me fait pas défaut. C'est bien ce que vous vouliez savoir ?
Les minces lèvres se tordirent en une grimace de satisfaction.
‑ Oui. Et quelles sont les plus grandes difficultés que vous rencontrez avec cette méthode ?
‑ C'est évident, répondis‑je. En transposant de mon esprit sur le piano, puis en couchant les notes sur le papier, une grande partie de l'inspiration originale se perd. Malheureusement, il n'est guère possible d'agir autrement.
Il se saisit du flacon, se versa un verre et le sirota doucement.
‑ Supposez qu'un instrument soit mis à votre disposition ‑ disons, une machine ‑ qui sous certaines conditions capterait cette inspiration musicale qui traverse votre esprit pour la transformer directement en son musical, une méthode tellement délicate qu'elle enregistrerait, note après note, la mélodie même qui existait dans vos pensées. A quelle valeur estimeriez‑vous un tel instrument ?
‑ Si un tel instrument pouvait être créé, dis‑je lentement, il rendrait son propriétaire mondialement célèbre dans les vingt‑quatre heures. Un simple écrivain de chansons deviendrait un maître de la musique, tandis qu'un grand compositeur serait changé en génie. Mais c'est impossible. Je connais un peu les sciences et je sais que la télépathie ‑ si c'est ce à quoi vous pensez ‑ n'a jamais été reconnue. Oh, je me rends très bien compte que des soi‑disantes machines à lire les pensées sont utilisés dans les cours de justice, mais ce ne sont que de simples détecteurs de mensonges qui ne font que mettre en évidence l'absence d'émotion.
Sans un mot, il se leva, se dirigea vers une porte qui donnait sur une pièce adjacente et disparut. Le silence me submergea alors que je me retrouvais seul. Je me demandais bien où ce Farber voulait en venir ? Quelle était donc la signification de cette discussion sur le travail de compositeur ? Et pourquoi moi spécifiquement, parmi tant d'autres avais‑je été choisi pour venir ici ? Alors que ma contre bracelet égrenait les secondes, une sensation de malaise s'accrut petit à petit en moi.
A la fin, pris d'impatience, je me dirigeai vers une des fenêtres en tirai le rideau pour observer l'épais brouillard Mais ma vision fut interrompue. D'énormes barreaux d'acier y étaient ancrés, interdisant toute sortie. ne soudaine pensée me fit croire que j'étais prisonnier de cette demeure. La vue de la porte ouverte me rassura cependant et, quand Farber revint quelques instants plus tard, je me tançai intérieurement pour avoir ainsi perdu les pédales.
Il titubait sous le poids d'un volumineux objet recourt d'un drap noir. Il le posa sur la table de porcelaine blanche, directement sous l'éclairage de la lampe, puis se tourna et plaça soigneusement ma chaise sur une ligne parallèle éloignée d'environ un mètre cinquante.
‑ Bancroft, indiqua‑t‑il, alors que je m'asseyais, je veux que vous écoutiez et suiviez mes instructions de très près. Restez tout à fait tranquille et fixez vos yeux sur objet. Concentrez votre esprit dessus du mieux que vous pouvez.
Il pivota et retira le drap noir. Je regardais, stupéfait.
Je me trouvais en présence d'un piano miniature de quatre‑vingt‑dix centimètres de large sur vingt centimètres de haut. Les cÔtés étaient peints d'un rouge vif et je vis sur le champ que tous les détails d'un véritable piano y figuraient, mais tous d'une dimension réduite. Les sculptures des pieds y étaient aussi élaborées que sur le Lonway de ma salle d'étude et le bois parfaitement polissé. Une épaisse planche en caoutchouc dur lui servait de base, tandis qu'à une des extrémités on distinguait une petite boîte avec un panneau vitré. Le panneau comportait un cadran noir, mais à l'intérieur j'aperçus un mélange de cables, de résistances, de lampes aux formes étranges, ainsi qu'un épais tube de verre rempli d'un liquide noir.
Farber ajusta le cadran pendant quelques instants. Tout d'abord, le liquide noir du tube de verre commença à circuler d'avant en arrière, comme dans une pompe à haute pression. Puis, tandis que j'augmentais ma concentration, il y eut un léger sifflement et le liquide se mit à courir à travers le tube, en bouillonnant comme de la lave en fusion. Une des ampoules se mit à briller d'une lueur rouge cerise.
Finalement, Farber leva les yeux.
‑ Cela fait dix ans que je travaille à cet instrument que vous voyez sur cette table. Jusqu'à ce soir, seul le ridicule et l'échec ont été mes récompenses. Mais cette nuit, quelques heures avant votre arrivée, le hasard mit fin à mes errements. Une simple correction était nécessaire, mais elle changea toute la conception du mécanisme.
Il tourna lentement le cadran.
... Dans quelques instants, vous allez vous retrouver aux commandes d'une des plus grandes inventions que la science ait jamais connue.
‑ De fait, rétorquai‑je, composer de la musique ne diffère guère de l'écriture de, eh bien... disons de fiction. Moitié inspiration, moitié connaissance du métier. Un thème central, quelques notes de mélodie qui me passent par la tête. Je me rends immédiatement à mon piano et en joue le plus possible, puis j'inscris les notes sur le papier, si ma mémoire ne me fait pas défaut. C'est bien ce que vous vouliez savoir ?
Les minces lèvres se tordirent en une grimace de satisfaction.
‑ Oui. Et quelles sont les plus grandes difficultés que vous rencontrez avec cette méthode ?
‑ C'est évident, répondis‑je. En transposant de mon esprit sur le piano, puis en couchant les notes sur le papier, une grande partie de l'inspiration originale se perd. Malheureusement, il n'est guère possible d'agir autrement.
Il se saisit du flacon, se versa un verre et le sirota doucement.
‑ Supposez qu'un instrument soit mis à votre disposition ‑ disons, une machine ‑ qui sous certaines conditions capterait cette inspiration musicale qui traverse votre esprit pour la transformer directement en son musical, une méthode tellement délicate qu'elle enregistrerait, note après note, la mélodie même qui existait dans vos pensées. A quelle valeur estimeriez‑vous un tel instrument ?
‑ Si un tel instrument pouvait être créé, dis‑je lentement, il rendrait son propriétaire mondialement célèbre dans les vingt‑quatre heures. Un simple écrivain de chansons deviendrait un maître de la musique, tandis qu'un grand compositeur serait changé en génie. Mais c'est impossible. Je connais un peu les sciences et je sais que la télépathie ‑ si c'est ce à quoi vous pensez ‑ n'a jamais été reconnue. Oh, je me rends très bien compte que des soi‑disantes machines à lire les pensées sont utilisés dans les cours de justice, mais ce ne sont que de simples détecteurs de mensonges qui ne font que mettre en évidence l'absence d'émotion.
Sans un mot, il se leva, se dirigea vers une porte qui donnait sur une pièce adjacente et disparut. Le silence me submergea alors que je me retrouvais seul. Je me demandais bien où ce Farber voulait en venir ? Quelle était donc la signification de cette discussion sur le travail de compositeur ? Et pourquoi moi spécifiquement, parmi tant d'autres avais‑je été choisi pour venir ici ? Alors que ma contre bracelet égrenait les secondes, une sensation de malaise s'accrut petit à petit en moi.
A la fin, pris d'impatience, je me dirigeai vers une des fenêtres en tirai le rideau pour observer l'épais brouillard Mais ma vision fut interrompue. D'énormes barreaux d'acier y étaient ancrés, interdisant toute sortie. ne soudaine pensée me fit croire que j'étais prisonnier de cette demeure. La vue de la porte ouverte me rassura cependant et, quand Farber revint quelques instants plus tard, je me tançai intérieurement pour avoir ainsi perdu les pédales.
Il titubait sous le poids d'un volumineux objet recourt d'un drap noir. Il le posa sur la table de porcelaine blanche, directement sous l'éclairage de la lampe, puis se tourna et plaça soigneusement ma chaise sur une ligne parallèle éloignée d'environ un mètre cinquante.
‑ Bancroft, indiqua‑t‑il, alors que je m'asseyais, je veux que vous écoutiez et suiviez mes instructions de très près. Restez tout à fait tranquille et fixez vos yeux sur objet. Concentrez votre esprit dessus du mieux que vous pouvez.
Il pivota et retira le drap noir. Je regardais, stupéfait.
Je me trouvais en présence d'un piano miniature de quatre‑vingt‑dix centimètres de large sur vingt centimètres de haut. Les cÔtés étaient peints d'un rouge vif et je vis sur le champ que tous les détails d'un véritable piano y figuraient, mais tous d'une dimension réduite. Les sculptures des pieds y étaient aussi élaborées que sur le Lonway de ma salle d'étude et le bois parfaitement polissé. Une épaisse planche en caoutchouc dur lui servait de base, tandis qu'à une des extrémités on distinguait une petite boîte avec un panneau vitré. Le panneau comportait un cadran noir, mais à l'intérieur j'aperçus un mélange de cables, de résistances, de lampes aux formes étranges, ainsi qu'un épais tube de verre rempli d'un liquide noir.
Farber ajusta le cadran pendant quelques instants. Tout d'abord, le liquide noir du tube de verre commença à circuler d'avant en arrière, comme dans une pompe à haute pression. Puis, tandis que j'augmentais ma concentration, il y eut un léger sifflement et le liquide se mit à courir à travers le tube, en bouillonnant comme de la lave en fusion. Une des ampoules se mit à briller d'une lueur rouge cerise.
Finalement, Farber leva les yeux.
‑ Cela fait dix ans que je travaille à cet instrument que vous voyez sur cette table. Jusqu'à ce soir, seul le ridicule et l'échec ont été mes récompenses. Mais cette nuit, quelques heures avant votre arrivée, le hasard mit fin à mes errements. Une simple correction était nécessaire, mais elle changea toute la conception du mécanisme.
Il tourna lentement le cadran.
... Dans quelques instants, vous allez vous retrouver aux commandes d'une des plus grandes inventions que la science ait jamais connue.