LAVEGGI Lucile - Le sourire de Stravinsky (p. 46-47)
... Le médecin a promis d’être là dans
vingt minutes. Je sors mon carnet de mon sac mais je n’ai pas envie de
travailler. Sur la première page, j’ai collé une photo qui montre Stravinsky
dans sa chambre de l’Hôtel Pierre, à New York, un matin de printemps 1969. Il
est en pyjama, un pansement au poignet droit. Ses cheveux, vers l’occiput, ne
sont plus qu’un duvet de poussin fragile. Il étudie une partition, un crayon à
la main. La légende de la photo indique qu’il veut instrumenter quatre préludes
et Fugues du Clavecin bien tempéré.
Les doubles rideaux à fleurs sont tirés, un verre de whisky est posé sur une table de bridge, il y a aussi une lampe bouillotte et une boîte de kleenex, le vieil Igor est enrhumé, il a les paupières creuses.
Depuis qu’il est octogénaire, il dit des choses bouleversantes : qu’il aurait aimé être un musicien anonyme, un petit Bach qui compose pour l’Eglise et pour Dieu. Il dit aussi que son corps l’ennuie, qu’il préfère mourir s’il ne peut plus travailler. Quand il n’est pas trop fatigué, il se met à son piano, deux heures, le matin, pour repousser la mort, qui l’effraie.
Parfois il se demande quelle sera sa place dans l’histoire de la musique. N’a-t-il fait que « retaper de vieux bateaux pendant que Schönberg, de son côté, inventait de nouvelles formes de voyage » ?..
Les doubles rideaux à fleurs sont tirés, un verre de whisky est posé sur une table de bridge, il y a aussi une lampe bouillotte et une boîte de kleenex, le vieil Igor est enrhumé, il a les paupières creuses.
Depuis qu’il est octogénaire, il dit des choses bouleversantes : qu’il aurait aimé être un musicien anonyme, un petit Bach qui compose pour l’Eglise et pour Dieu. Il dit aussi que son corps l’ennuie, qu’il préfère mourir s’il ne peut plus travailler. Quand il n’est pas trop fatigué, il se met à son piano, deux heures, le matin, pour repousser la mort, qui l’effraie.
Parfois il se demande quelle sera sa place dans l’histoire de la musique. N’a-t-il fait que « retaper de vieux bateaux pendant que Schönberg, de son côté, inventait de nouvelles formes de voyage » ?..