BURGESS Anthony - 1889 et le mode du diable (p.113)
...Claude l’embrassa à pleines lèvres au beau milieu de la
foule. On était à Paris, après tout. Robert Godet, qui traversait la chaussée à
leur rencontre en évitant délicatement le crottin de cheval fumant au soleil,
eut un sourire de connivence et souleva son chapeau de paille. Il était suisse,
sans le puritanisme suisse. « Mademoiselle. Cher Maître.
--Pas encore », corrigea Claude. En l’embrassant, il avait entendu dans sa tête le thème de Saint-Saëns – Ah ! réponds à ma tendresse – mais repris par une flûte un peu étouffée et où ne manquait plus la fameuse note de la gamme chromatique. Une descente chromatique pure, de la tonique à la dominante, sur une flûte pastorale, entendue au beau milieu d’une rue pleine de voitures et de vacarme. Puis le même glissement chromatique remontant, le thème qui se replie sur lui-même, ne débouche sur rien, comme jouerait un berger sommeillant à l’ombre d’un orme ou d’un aulne en plein midi sicilien. Pourquoi sicilien ? Comment un berger posséderait-il une flûte chromatique ? Ce n’était bien entendu pas un berger.
« A propos de votre idée de mettre la tour Eiffel en musique, dit Claude, je disais justement à Gabrielle que c’était impossible. Peut-être une gamme, du bas jusqu’en haut du clavier. Les matériaux de la musique pris comme des matériaux d’architecture. Les vertèbres, si l’on veut. »
Godet était un journaliste, un genre d'érudit, une sorte de romancier, et compositeur amateur. Il savait ce que Claude voulait dire. "Il faudrait que ce ne soit que des quintes et des quartes, pour souligner le vide de l'ensemble. L'aspect squelettique. Rien de la chaleur humaine que contient une tierce, majeure ou mineure.
-- L'organum", dit Claude...
--Pas encore », corrigea Claude. En l’embrassant, il avait entendu dans sa tête le thème de Saint-Saëns – Ah ! réponds à ma tendresse – mais repris par une flûte un peu étouffée et où ne manquait plus la fameuse note de la gamme chromatique. Une descente chromatique pure, de la tonique à la dominante, sur une flûte pastorale, entendue au beau milieu d’une rue pleine de voitures et de vacarme. Puis le même glissement chromatique remontant, le thème qui se replie sur lui-même, ne débouche sur rien, comme jouerait un berger sommeillant à l’ombre d’un orme ou d’un aulne en plein midi sicilien. Pourquoi sicilien ? Comment un berger posséderait-il une flûte chromatique ? Ce n’était bien entendu pas un berger.
« A propos de votre idée de mettre la tour Eiffel en musique, dit Claude, je disais justement à Gabrielle que c’était impossible. Peut-être une gamme, du bas jusqu’en haut du clavier. Les matériaux de la musique pris comme des matériaux d’architecture. Les vertèbres, si l’on veut. »
Godet était un journaliste, un genre d'érudit, une sorte de romancier, et compositeur amateur. Il savait ce que Claude voulait dire. "Il faudrait que ce ne soit que des quintes et des quartes, pour souligner le vide de l'ensemble. L'aspect squelettique. Rien de la chaleur humaine que contient une tierce, majeure ou mineure.
-- L'organum", dit Claude...