WAGNER Richard - Un musicien étranger à Paris (p.98-99)
... « Maintenant, repris le
mourant après une interruption que rendit nécessaire son affaiblissement de
plus en plus sensible, maintenant, un dernier mot sur ma croyance : Je
crois à Dieu, à Mozart, à Beethoven, ainsi qu’à leurs disciples et à
leurs apôtres ; je crois au Saint Esprit et à la vérité d’un art un et
indivisible ; je crois que cet art procède de Dieu, et vit dans les cœurs
de tous les hommes éclairés d’en haut ; je crois que celui qui a goûté une
seule fois les sublimes jouissances de cet art, lui est dévoué pour toujours,
et ne peut le renier ; je crois que tous peuvent devenir bien heureux par
cet art, et qu’il est en conséquence permis à chacun de mourir de faim en le
confessant ; je crois que la mort me donnera la suprême félicité ; je
crois que j’étais sur la terre un accord dissonant qui va trouver dans la mort
une pure et magnifique résolution ; je crois à un jugement dernier où
seront affreusement damnés tous ceux qui, sur cette terre, ont osé faire
métier, marchandise et usure de cet art sublime qu’ils profanaient et
déshonoraient par malice de cœur et grossière sensualité ; je crois que
ces immondes seront condamnés à entendre pendant l’éternité leur propre
musique ; je crois au contraire que les fidèles disciples de cet art
sublime seront glorifiés dans une essence céleste, radieuse de l’éclat de tous
les soleils au milieu des parfums des accords les plus parfaits, et réunis dans
l’éternité à la source divine de toute harmonie. Puisse un sort pareil m’être
octroyé en partage ! – Amen »
Je crus un instant que la fervente prière de mon enthousiaste ami était exaucée, tant il restait immobile dans une extase sans souffle. Vivement ému, je me penchai sur son visage pour reconnaître s’il appartenait encore à ce monde. Sa respiration très faible et presque imperceptible m’apprit qu’il vivait encore. Il murmura à voix bien basse, quoique intelligible, ces mots : « Réjouissez-vous, croyants ;les joies qui vous attendent sont grandes. » Puis il se tut ; l’éclat de son regard s’éteignit ; un sourire aimable resta sur ses lèvres. – Je lui fermai les yeux, et priai Dieu de m’accorder une mort semblable.
Qui sait ce qui, dans cette créature humaine, s’éteignit sans laisser de traces ! Était-ce un Mozart, un Beethoven ? Qui peut le savoir, et qui voudrait me contredire si je déclarais qu’avec cet homme mourut un artiste qui eut ravi le monde par ses créations, s’il ne fût mort de faim préalablement. Je le demande, qui me prouvera le contraire ?..
Je crus un instant que la fervente prière de mon enthousiaste ami était exaucée, tant il restait immobile dans une extase sans souffle. Vivement ému, je me penchai sur son visage pour reconnaître s’il appartenait encore à ce monde. Sa respiration très faible et presque imperceptible m’apprit qu’il vivait encore. Il murmura à voix bien basse, quoique intelligible, ces mots : « Réjouissez-vous, croyants ;les joies qui vous attendent sont grandes. » Puis il se tut ; l’éclat de son regard s’éteignit ; un sourire aimable resta sur ses lèvres. – Je lui fermai les yeux, et priai Dieu de m’accorder une mort semblable.
Qui sait ce qui, dans cette créature humaine, s’éteignit sans laisser de traces ! Était-ce un Mozart, un Beethoven ? Qui peut le savoir, et qui voudrait me contredire si je déclarais qu’avec cet homme mourut un artiste qui eut ravi le monde par ses créations, s’il ne fût mort de faim préalablement. Je le demande, qui me prouvera le contraire ?..