PHILLIPS Arthur - Une simple mélodie (p. 93-94)
... La jeune irlandaise se produisait ce soir-là. La foule était plus nombreuse, défiant les capacités du bar autorisées par la loi, et Julian se dit que la chanteuse avait changé au cours des dernières semaines, qu'elle avait peut-être même progressé. Elle était un peu plus cohérente en tant qu'interprète, capable de projeter une idée et une image. Lors du concert précédent, quelque chose l'avait déconcentrée et disloquée, comme quand l'impression en couleurs de pages d'un quotidien est légèrement décalée, donnant un méchant halo jaune qui flotte à une distance infime au-dessus du corps rouge vif d'un chien de bande dessinée. C'était peut-être dû aux erreurs du bassiste ou, à en croire les snobs branchés, aux bruissements de cet irrésistible succès qui allait la toucher. Peu importe : elle était plus claire, ce soir, même s'il pouvait encore remarquer ses efforts, d'une chanson à l'autre, pour déployer ses effets : la citadine à l'ironie décontractée, la junkie qui en veut, la petite irlandaise prête à tout, qui se dévouait à la cause nationaliste, l'écolière dégénérée, l'amoureuse au coin du feu dont la peau de velours est aussi douce qu'une pétale de rose. Ces rôles lui convenaient de façon inégale, question de jeunesse, de nervosité ou, ce qui est plus problématique, de manque d'authenticité (ce je-ne-sais-quoi qui fait que cent chanteurs donnent un spectacle, alors que le cent unième transmet la vérité).
Il tenta de concilier ce qu'il voyait sur scène avec l'effet que sa musique produisait quand elle n'était pas là...
Il tenta de concilier ce qu'il voyait sur scène avec l'effet que sa musique produisait quand elle n'était pas là...