ENGEL Vincent - Requiem vénitien (p.153-154)
... Le 24 décembre arriva. Dans la pauvre chapelle de l'orphelinat régnait un froid glacial. Seuls les objets du culte et l'autel signalaient que ce local mal proportionné n'était pas un hangar à provisions. Les musiciens s'installèrent, essayaient de se réchauffer les doigts. Les choristes avaient enroulé une épaisse écharpe autour de leurs cous, ce qui n'empêchait pas certains de tousser comme des forcenés, peut être dans l'espoir d'être dispensés au dernier instant de cette épreuve. mais on comptait peu de défections; dans les derniers jours, malgré la fatigue et l'énervement, la plupart s'étaient pris au jeu. Comme Venise résistait à l'empire autrichien. C'était la victorieuse armée des petits. Des petits qui avaient été ou qui seraient un jour, de nouveau, les maîtres de leur destin. Il y avait chez ces orphelins la même fierté que sur le visage des soldats de fortune qui s'étaient rassemblés sous la houlette de Manin. La fierté de ceux qui affrontent, joyeusement, l'impossible. Même les religieux qui encadraient ces enfants s'étaient laissé gagner par cette ambiance conquérante. Les temps étaient à une nouvelle philosophie où la foi en la volonté humaine remplaçait la soumission aux décrets du pouvoir, qu'il fût séculier ou céleste. Pour l'heure, la musique n'avait pas débuté et Alessandro, qui devait tenir la baguette, n'était pas encore arrivé. Tout était possible, rien n'était joué. Et, pourtant, tout était écrit.