DANNEMARK Francis - Les petites voix (p.14-15)
...En été, les villes sont de vastes lieux déserts où des téléphones résonnent dans le vide. On songe à la télépathie, aux pigeons voyageurs, aux nuages de fumée dans le ciel - mais encore faudrait-il savoir à qui l'on veut parler. Moi je cherchais quelqu'un qui connaîtrait ou aurait connu Paul Grentz. Après trois heures d'essais, juste trouver quelqu'un qui aurait récemment entendu parler de lui m'aurait comblée de bonheur. J'ai laissé refroidir le combiné et me suis replongée dans mes notes. Qu'aurais-je pu dire de Paul Grentz? Qu'il avait ou allait avoir cinquante ans. Qu'il était musicien. Mais quel genre de musicien? Tout le problème était là. Mes notes révélaient qu'il avait beaucoup tourné dans le monde du jazz, qu'il avait écrit des chansons, qu'il avait composé des musiques de théâtre et de ballet, qu'il avait occasionnellement joué de la basse dans un groupe de rock, qu'il avait été le pianiste d'un chanteur de soul music américain qui avait vécu un an en Europe, qu'on lui devait les musiques d'une quinzaine de films (dont plusieurs documentaires), qu'il avait composé et joué un spectacle de cabaret, et organisé des festivals.
Ce que je voulais surtout, en fait, c'était savoir qui était Paul Grentz. Les rares photos qui accompagnaient le dossier montraient un visage sec, sculpté dans une matière dure. Mais les yeux... Étrangement, ils ne disaient pas tous les deux la même chose : en fixant son oeil droit, je voyais apparaître le regard d'une homme grave et distant; en m'attachant à l’œil gauche, c'est le regard d'un homme drôle et charmant que je croisais, un regard qui pétille. Pour le dire autrement, le genre de regard qu'une femme normalement constituée - moi, par exemple - aime qu'on pose sur elle. Et des mains de musicien, c'est comment? me suis-je demandé...
Ce que je voulais surtout, en fait, c'était savoir qui était Paul Grentz. Les rares photos qui accompagnaient le dossier montraient un visage sec, sculpté dans une matière dure. Mais les yeux... Étrangement, ils ne disaient pas tous les deux la même chose : en fixant son oeil droit, je voyais apparaître le regard d'une homme grave et distant; en m'attachant à l’œil gauche, c'est le regard d'un homme drôle et charmant que je croisais, un regard qui pétille. Pour le dire autrement, le genre de regard qu'une femme normalement constituée - moi, par exemple - aime qu'on pose sur elle. Et des mains de musicien, c'est comment? me suis-je demandé...