KRAUSSER Helmut Mélodies (p.300-301)
... Castiglio, architecte du grand bruit, se soumettait, prêt à
mourir en victime du silence absolu, au cas où cela plairait au vide.
Il mourait et ne mourait pas quelle que fût son humilité. Puis quand il se fut livré au néant tonal jusqu'au dernier pore de son corps, quand il se fut approché plus que jamais du vide et qu'il n'y eut plus que ces cinq faisceaux désemplis pour témoigner de sa vie, de son potentiel de bruit, de sa passion du son, il ouvrit grand la bouche et se mit à chanter.
Plaidoyer pour la grâce et la rédemption. Dans une violente implosion, le silence éclata, jeta ses lambeaux tout autour de Castiglio ; le son se répercuta dans tous les coins ; des bribes de respiration sonores retombèrent de partout, s'écrasèrent au‑dessus du Tropator comme les vagues d'une tempête. Un flot qui grondait. Une écume du chant.
Soudain le caveau déborda de bruits depuis longtemps prescrits ‑ de bruissements ; celui‑ci fouillait fébrilement dans sa mémoire, exhumait les souvenirs les plus oubliés. Même les épitaphes se souvinrent à nouveau du sens de leurs mots. Tout ce qui, dans ce lieu souterrain, avait un jour émis un son, que ce fût un murmure de douleur, un léger sanglot, des pas qui avaient résonné sur le pavé, des gardes de nuit, le grésillement d'une bougie ou la sourde mise en place d'une dalle de pierre ‑ tous ces bruits revinrent comme s'ils étaient restés congelés pour toujours et fondaient enfin pour donner de nouveaux concerts., Castiglio touchait au secret même de l'espace et de l'éther: du bruit, de la musique, une annonciation. Sa bouche devenait le Saint‑Graal de tous les bruits ; le ciboire, le chant sacré, qui arrachait tout avec lui et auprès duquel plus rien ne pouvait se taire, ni la pierre ni la mousse, ni la poussière ni la pourriture, ni le fer ni l'air. Une guerre des sons et du silence. Des faisceaux de notes étaient entrelardés de noir, une vision acoustiquement transmutée. Devenu l'instrument de l'univers, Castiglio chantait le chant bienfaisant, le choral de la guerre éternelle, les tropoï magiques du monde et de ses fronts. Et il était sûr que s'il entrait un jour dans la fosse, un pot‑pourri de gloire se déverserait sur lui, le Tropator; délivré, il ,monterait la gamme jusqu'à ce qu'aucun être vivant ne puisse plus l'entendre.
Il était si heureux. De nouveaux chants d'amour et de désespérance. Heureux...
Peut‑être les voix des morts gisent‑elles dans le royaume du la neuvième et au‑dessus ? Il n'était maintenant plus capable de croire au silence des morts ; tout était devenu vie et bonheur. Le bonheur de la bataille. Un instant de bonheur.
Descendez ! Collez vos oreilles à la fente ! Approchez !
Il écouta les sarcophages, perçut un souvenir rythmique sur le dessous des plaques, entonna avec joie les mélodies pour la deuxième fois, transforma avec exagération un demi‑soupir en un quart de soupir.
Tout l'intérieur était extérieur et expansion, discrétion impossible une fête avait lieu dans le temple sonore du QUELQUE CHOSE; un vaste concert de toutes les circonstances et de toutes les sphères, des profondeurs de la mer aux sommets des esprits. Les MÉLODIES étaient en lui, et le glapissement des kobolds en faisait partie à l'égal du bruissement des flots et des accords graves des montagnes, les gémissements des blessés à l'égal du soprano de l'accomplissement; un geignement de douleur, un roucoulement de satisfaction, un cri de l'extase, un chuchotement de l'humilité, le bâillement de la pourriture tout comme les cris de joie et de plaisir.
Tout, vraiment tout...
Il mourait et ne mourait pas quelle que fût son humilité. Puis quand il se fut livré au néant tonal jusqu'au dernier pore de son corps, quand il se fut approché plus que jamais du vide et qu'il n'y eut plus que ces cinq faisceaux désemplis pour témoigner de sa vie, de son potentiel de bruit, de sa passion du son, il ouvrit grand la bouche et se mit à chanter.
Plaidoyer pour la grâce et la rédemption. Dans une violente implosion, le silence éclata, jeta ses lambeaux tout autour de Castiglio ; le son se répercuta dans tous les coins ; des bribes de respiration sonores retombèrent de partout, s'écrasèrent au‑dessus du Tropator comme les vagues d'une tempête. Un flot qui grondait. Une écume du chant.
Soudain le caveau déborda de bruits depuis longtemps prescrits ‑ de bruissements ; celui‑ci fouillait fébrilement dans sa mémoire, exhumait les souvenirs les plus oubliés. Même les épitaphes se souvinrent à nouveau du sens de leurs mots. Tout ce qui, dans ce lieu souterrain, avait un jour émis un son, que ce fût un murmure de douleur, un léger sanglot, des pas qui avaient résonné sur le pavé, des gardes de nuit, le grésillement d'une bougie ou la sourde mise en place d'une dalle de pierre ‑ tous ces bruits revinrent comme s'ils étaient restés congelés pour toujours et fondaient enfin pour donner de nouveaux concerts., Castiglio touchait au secret même de l'espace et de l'éther: du bruit, de la musique, une annonciation. Sa bouche devenait le Saint‑Graal de tous les bruits ; le ciboire, le chant sacré, qui arrachait tout avec lui et auprès duquel plus rien ne pouvait se taire, ni la pierre ni la mousse, ni la poussière ni la pourriture, ni le fer ni l'air. Une guerre des sons et du silence. Des faisceaux de notes étaient entrelardés de noir, une vision acoustiquement transmutée. Devenu l'instrument de l'univers, Castiglio chantait le chant bienfaisant, le choral de la guerre éternelle, les tropoï magiques du monde et de ses fronts. Et il était sûr que s'il entrait un jour dans la fosse, un pot‑pourri de gloire se déverserait sur lui, le Tropator; délivré, il ,monterait la gamme jusqu'à ce qu'aucun être vivant ne puisse plus l'entendre.
Il était si heureux. De nouveaux chants d'amour et de désespérance. Heureux...
Peut‑être les voix des morts gisent‑elles dans le royaume du la neuvième et au‑dessus ? Il n'était maintenant plus capable de croire au silence des morts ; tout était devenu vie et bonheur. Le bonheur de la bataille. Un instant de bonheur.
Descendez ! Collez vos oreilles à la fente ! Approchez !
Il écouta les sarcophages, perçut un souvenir rythmique sur le dessous des plaques, entonna avec joie les mélodies pour la deuxième fois, transforma avec exagération un demi‑soupir en un quart de soupir.
Tout l'intérieur était extérieur et expansion, discrétion impossible une fête avait lieu dans le temple sonore du QUELQUE CHOSE; un vaste concert de toutes les circonstances et de toutes les sphères, des profondeurs de la mer aux sommets des esprits. Les MÉLODIES étaient en lui, et le glapissement des kobolds en faisait partie à l'égal du bruissement des flots et des accords graves des montagnes, les gémissements des blessés à l'égal du soprano de l'accomplissement; un geignement de douleur, un roucoulement de satisfaction, un cri de l'extase, un chuchotement de l'humilité, le bâillement de la pourriture tout comme les cris de joie et de plaisir.
Tout, vraiment tout...