DIWO Jean - Les violons du roi (p. 350-351)
... C'est une opération délicate qui fait
frémir les propriétaires qui veulent y assister. Je vous conseille de revenir
dans une heure.
Bassini s'était récrié.
‑ Pas du tout. Je tiens à rester. Ce violon est mon bien le plus précieux. Je ne m'endors jamais sans lui avoir dit bonsoir et avoir vérifié qu'il repose bien sur ses coussinets de velours. il n'est pas question que je l'abandonne dans un moment aussi grave.
‑ Je vous comprends, monsieur Bassani. Asseyez vous sur ce tabouret et regardez. Mais je vous préviens que vous allez souffrir!
‑ Le violon court‑il un risque?
Stradivari que Bassani commençait à agacer ne minimisa pas l'opération.
‑ Ouvrir un violon présente toujours un risque. Je mentirais si je vous disais le contraire. L'outil peut glisser... Mais rassurez‑vous. Je suis assez habile! Alors, allons‑y!
Antonio choisit une lame fine sur son établi, cala l'amati solidement entre ses jambes et introduisit lentement la lame entre la table et les éclisses, au-dessous de la taille de l'instrument. Un craquement sec que Bassani ressentit comme une décharge d'orage qui lui aurait traversé la tête se fit entendre. Le pauvre homme était blême. Le luthier eut pitié de lui.
‑ Le bruit est désagréable pour le spectateur intéressé, je vous avais prévenu. Mais il faut briser la colle séchée. C'est elle qui craque et non le bois.
Par des pesées successives de la main, Stradivari continua de détacher progressivement le dessus du violon. A chaque fois, le terrible craquement amenait un rictus convulsif sur le visage du musicien. C'est dans son coeur que pénétrait la lame.
Enfin, un bruit plus strident, ressemblant à celui qu'émet un verre de cristal frappé par le manche d'une cuillère, succéda aux craquements. Ce n'était pas l'agonie du violon mais la fin de l'opération. D'un coup, la table venait de se détacher des éclisses et l'intérieur de l'instrument apparut dans sa déroutante simplicité avec ses coins, ses tasseaux de bois brut de scie, son âme, dérisoire petite cheville dispensatrice de tant d'émotions et la barre d'harmonie, collée comme une longue sangsue à la table maintenant séparée.
Stradivari montra du doigt une petite fissure sur la languette de sapin:
Je ne m'étais pas trompé. Il va falloir changer la barre Le plus drôle, c'est que c'est peut‑être moi qui l'ai construite quand je travaillais chez Niccolo Amati... Mais non, cela ne va pas. Votre violon est daté de 1668 et j'avais quitté l'atelier depuis longtemps...
Fasciné, le luthier regardait le travail de son vieux maître, évaluait l'épaisseur des voûtes que Niccolo Amati, un jour, s'était décidé à abaisser en même temps qu'il élevait la hauteur des éclisses. Chaque détail lui rappelait une étape franchie sur la voie de la perfection.
Je n'ai pas entendu votre violon autrement qu'avec sa voix cassée mais je peux vous dire que vous possédez l'un des meilleurs instruments que puisse jouer un virtuose. Je vais lui rendre sa sonorité limpide et vous pourrez triompher avec lui à Mantoue.
Bassini s'était récrié.
‑ Pas du tout. Je tiens à rester. Ce violon est mon bien le plus précieux. Je ne m'endors jamais sans lui avoir dit bonsoir et avoir vérifié qu'il repose bien sur ses coussinets de velours. il n'est pas question que je l'abandonne dans un moment aussi grave.
‑ Je vous comprends, monsieur Bassani. Asseyez vous sur ce tabouret et regardez. Mais je vous préviens que vous allez souffrir!
‑ Le violon court‑il un risque?
Stradivari que Bassani commençait à agacer ne minimisa pas l'opération.
‑ Ouvrir un violon présente toujours un risque. Je mentirais si je vous disais le contraire. L'outil peut glisser... Mais rassurez‑vous. Je suis assez habile! Alors, allons‑y!
Antonio choisit une lame fine sur son établi, cala l'amati solidement entre ses jambes et introduisit lentement la lame entre la table et les éclisses, au-dessous de la taille de l'instrument. Un craquement sec que Bassani ressentit comme une décharge d'orage qui lui aurait traversé la tête se fit entendre. Le pauvre homme était blême. Le luthier eut pitié de lui.
‑ Le bruit est désagréable pour le spectateur intéressé, je vous avais prévenu. Mais il faut briser la colle séchée. C'est elle qui craque et non le bois.
Par des pesées successives de la main, Stradivari continua de détacher progressivement le dessus du violon. A chaque fois, le terrible craquement amenait un rictus convulsif sur le visage du musicien. C'est dans son coeur que pénétrait la lame.
Enfin, un bruit plus strident, ressemblant à celui qu'émet un verre de cristal frappé par le manche d'une cuillère, succéda aux craquements. Ce n'était pas l'agonie du violon mais la fin de l'opération. D'un coup, la table venait de se détacher des éclisses et l'intérieur de l'instrument apparut dans sa déroutante simplicité avec ses coins, ses tasseaux de bois brut de scie, son âme, dérisoire petite cheville dispensatrice de tant d'émotions et la barre d'harmonie, collée comme une longue sangsue à la table maintenant séparée.
Stradivari montra du doigt une petite fissure sur la languette de sapin:
Je ne m'étais pas trompé. Il va falloir changer la barre Le plus drôle, c'est que c'est peut‑être moi qui l'ai construite quand je travaillais chez Niccolo Amati... Mais non, cela ne va pas. Votre violon est daté de 1668 et j'avais quitté l'atelier depuis longtemps...
Fasciné, le luthier regardait le travail de son vieux maître, évaluait l'épaisseur des voûtes que Niccolo Amati, un jour, s'était décidé à abaisser en même temps qu'il élevait la hauteur des éclisses. Chaque détail lui rappelait une étape franchie sur la voie de la perfection.
Je n'ai pas entendu votre violon autrement qu'avec sa voix cassée mais je peux vous dire que vous possédez l'un des meilleurs instruments que puisse jouer un virtuose. Je vais lui rendre sa sonorité limpide et vous pourrez triompher avec lui à Mantoue.