SAGAN Françoise - Musique de scène (p.135-136)
... Elle insistait, frappait, ou tentait
de frapper :
‑ Ça ne te choque pas ? L'outrecuidance de cette oie richissime, enviant notre dèche, ne te choque pas ? Il est vrai que Laura Knoll est intouchable, ici...
‑ Mais que vas‑tu chercher ? dit‑il en détournant la tête nerveusement.
Car, pour une fois, elle tombait juste : Laura lui plaisait, malgré ses visons, et il espérait même, avec un peu de chance, être très prochainement son amant. Elle lui avait même souri d'une certaine façon pendant la soirée, un sourire attendri confirmé par ses yeux violets, qui aurait pu donner de l'espoir à quelqu'un d'encore moins prétentieux que lui. Il sourit. Depuis deux ou trois ans, les occasions se multipliaient dans ce domaine, mais, s'il en avait profité trois ou quatre fois, ç'avait été avec un tel luxe de précautions que les allusions d'Anita ne pouvaient être que gratuites. Il haussa donc des épaules innocentes, se leva, s'étira et se dirigea vers la salle de bains. La voix d'Anita le poursuivait pendant qu'il s'arrêtait devant son propre reflet dans la glace, le reflet d'un homme de trente‑cinq ans, un peu fatigué, un peu flou, mais avec une bonne tête, après tout.
‑ J'imagine que je t'ennuie, disait la voix dans la chambre, mais si je ne te dis pas la vérité, qui te la dira ? Tu as besoin...
« Etc. Etc. », pensa‑t‑il en ouvrant les robinets à grand fracas. Do‑rni‑sol, do‑mi‑ré... Oui, il y avait un charme dans cet air, une gaieté un peu insolente qui lui permettrait même de l'écrire en mineur, voire même d'y ajouter des violons, sans en diminuer l'allégresse. Décidément il lui faudrait un grand orchestre... Et il demanderait à Jean‑Pierre d'en faire l'orchestration avec des rythmes un peu rapides.
Il prit un tube de dentifrice, l'ouvrit, et s'immobilisa. Dans la glace, le visage d'Anita derrière lui apparaissait, blanc de colère, comme convulsé par la fureur, et il se demanda une seconde quelle était cette étrangère, cette harpie qui osait s'interposer entre sa musique et lui‑même. Elle fit deux pas, posa sa main baguée sur le robinet et le ferma avec violence. Il vit la main blanche rougir aux jointures, et il remarqua au passage l'éclat bleu saphir de la bague qu'il lui avait donnée deux mois auparavant pour leur anniversaire, celui de leur mariage, de leurs dix ans de mariage. Ils s'étaient mariés pour le meilleur et pour le pire; sans savoir, dans son cas, que le meilleur allait entraîner automatiquement le pire...
‑ Ça ne te choque pas ? L'outrecuidance de cette oie richissime, enviant notre dèche, ne te choque pas ? Il est vrai que Laura Knoll est intouchable, ici...
‑ Mais que vas‑tu chercher ? dit‑il en détournant la tête nerveusement.
Car, pour une fois, elle tombait juste : Laura lui plaisait, malgré ses visons, et il espérait même, avec un peu de chance, être très prochainement son amant. Elle lui avait même souri d'une certaine façon pendant la soirée, un sourire attendri confirmé par ses yeux violets, qui aurait pu donner de l'espoir à quelqu'un d'encore moins prétentieux que lui. Il sourit. Depuis deux ou trois ans, les occasions se multipliaient dans ce domaine, mais, s'il en avait profité trois ou quatre fois, ç'avait été avec un tel luxe de précautions que les allusions d'Anita ne pouvaient être que gratuites. Il haussa donc des épaules innocentes, se leva, s'étira et se dirigea vers la salle de bains. La voix d'Anita le poursuivait pendant qu'il s'arrêtait devant son propre reflet dans la glace, le reflet d'un homme de trente‑cinq ans, un peu fatigué, un peu flou, mais avec une bonne tête, après tout.
‑ J'imagine que je t'ennuie, disait la voix dans la chambre, mais si je ne te dis pas la vérité, qui te la dira ? Tu as besoin...
« Etc. Etc. », pensa‑t‑il en ouvrant les robinets à grand fracas. Do‑rni‑sol, do‑mi‑ré... Oui, il y avait un charme dans cet air, une gaieté un peu insolente qui lui permettrait même de l'écrire en mineur, voire même d'y ajouter des violons, sans en diminuer l'allégresse. Décidément il lui faudrait un grand orchestre... Et il demanderait à Jean‑Pierre d'en faire l'orchestration avec des rythmes un peu rapides.
Il prit un tube de dentifrice, l'ouvrit, et s'immobilisa. Dans la glace, le visage d'Anita derrière lui apparaissait, blanc de colère, comme convulsé par la fureur, et il se demanda une seconde quelle était cette étrangère, cette harpie qui osait s'interposer entre sa musique et lui‑même. Elle fit deux pas, posa sa main baguée sur le robinet et le ferma avec violence. Il vit la main blanche rougir aux jointures, et il remarqua au passage l'éclat bleu saphir de la bague qu'il lui avait donnée deux mois auparavant pour leur anniversaire, celui de leur mariage, de leurs dix ans de mariage. Ils s'étaient mariés pour le meilleur et pour le pire; sans savoir, dans son cas, que le meilleur allait entraîner automatiquement le pire...