BAPTISTE-MARREY - Edda H. (p.33-35)
... Normalement, je n'aurais jamais dû
être cantatrice, ni faire la carrière que j'ai faite. Je ne parle pas seulement
du succès ou de l'argent. Je parle de la simple possibilité de développer son
talent, Quand je pense que cette voix ‑ ma voix ‑ était enfouie dans la fille
que j'étais alors, aussi dure et triste qu'un petit caillou ! C'est un miracle
que je sois devenue E. H. : pas le nom, la voix!
‑ Les miracles n'ont pas d'autre explication, n'est‑ce pas, que l'espèce humaine et ses capacités ignorées.
- Jusqu'à un certain point.
‑ Chacun possède un trésor et l'oublie aussi vite. Si tout le monde ne possédait pas au moins un talent, ce serait trop injuste, non ?
‑ Sans doute, mais sans mon égoïsme, un égoïsme forcené, je ne serais arrivée à rien. Et sans Lanni Richter, mon premier professeur à la Hochschule de Munich: un vrai sorcier !
‑ Moi, c'est un imprimeur qui m'a appris le noir et le blanc. Vous chantez beaucoup de Strauss ?
‑ Beaucoup. C'est presque devenu ma spécialité. Il a écrit les plus beaux rôles de femmes du répertoire ‑ après Mozart.
‑ Oh, très loin après Mozart.
‑ Non, pas si loin. Mais les nouvelles générations ne le prennent pas au sérieux parce qu'il avait du poil gris dans les oreilles comme un gentleman anglais. Mon amie Alba préfère les compositeurs qui glapissent: Schönberg, Berio, Jonas...
‑ Jonas, c'est autre chose.
‑ J'oubliais : vous le connaissez.
‑ Oui, je J'ai entendu ce fameux dimanche à Ossiach. C'est le premier effort pour rompre avec la modernité sans retomber dans les vieilles ornières académiques. Je... j'ai... pleuré quand il a eu fini de jouer avec sa clarinette. C'était si loin de toutes ces chanteuses à plumes.
‑ Peter, je ne porte jamais de plumes
‑ Excusez‑moi. Je suis insupportable. Je pensais à d'autres.
‑ Non, vous êtes original. Rafraichissant. Mais vous avez tort pour Strauss. Il a su conserver le plaisir de chanter et la volonté de plaire, pas celle de prendre les spectateurs à rebrousse‑poil. J'ai chanté Octavian, la Marschallin, le Komponist, Ariane ensuite. J'ai chanté aussi la Fiirberin', puis l'Impératrice. Les fins de Strauss sont admirables. Quelques accords, parfois aux bois, souvent aux cors. Un sourire qui s'efface. Des fins pianissimo. Il faut être sûr de son emprise, de son art...
Leicht will ich's machen Dir und mir
Je veux que ce jour soit léger pour toi et pour moi
Il faut être léger d'un cœur léger avec des mains légères Tenir et prendre, tenir et laisser.
"La Marschallin est le rôle suprême ‑ surtout pour une femme dans sa maturité. Il y a tout à exprimer : le bonheur, la tristesse, le plaisir, la nostalgie ‑ et aussi, j'en suis sûre, l'espoir de nouveaux plaisirs, de nouveaux bonheurs : son aventure avec ce jeune homme n'est pas un drame, mais une étape...
‑ ... noyée dans beaucoup de Schlagsahne1. Il faudrait suivre des régimes musicaux amaigrissants : garder Strauss comme le foie gras, une fois par an, pour les jours de fête carillonnés...
‑ Les miracles n'ont pas d'autre explication, n'est‑ce pas, que l'espèce humaine et ses capacités ignorées.
- Jusqu'à un certain point.
‑ Chacun possède un trésor et l'oublie aussi vite. Si tout le monde ne possédait pas au moins un talent, ce serait trop injuste, non ?
‑ Sans doute, mais sans mon égoïsme, un égoïsme forcené, je ne serais arrivée à rien. Et sans Lanni Richter, mon premier professeur à la Hochschule de Munich: un vrai sorcier !
‑ Moi, c'est un imprimeur qui m'a appris le noir et le blanc. Vous chantez beaucoup de Strauss ?
‑ Beaucoup. C'est presque devenu ma spécialité. Il a écrit les plus beaux rôles de femmes du répertoire ‑ après Mozart.
‑ Oh, très loin après Mozart.
‑ Non, pas si loin. Mais les nouvelles générations ne le prennent pas au sérieux parce qu'il avait du poil gris dans les oreilles comme un gentleman anglais. Mon amie Alba préfère les compositeurs qui glapissent: Schönberg, Berio, Jonas...
‑ Jonas, c'est autre chose.
‑ J'oubliais : vous le connaissez.
‑ Oui, je J'ai entendu ce fameux dimanche à Ossiach. C'est le premier effort pour rompre avec la modernité sans retomber dans les vieilles ornières académiques. Je... j'ai... pleuré quand il a eu fini de jouer avec sa clarinette. C'était si loin de toutes ces chanteuses à plumes.
‑ Peter, je ne porte jamais de plumes
‑ Excusez‑moi. Je suis insupportable. Je pensais à d'autres.
‑ Non, vous êtes original. Rafraichissant. Mais vous avez tort pour Strauss. Il a su conserver le plaisir de chanter et la volonté de plaire, pas celle de prendre les spectateurs à rebrousse‑poil. J'ai chanté Octavian, la Marschallin, le Komponist, Ariane ensuite. J'ai chanté aussi la Fiirberin', puis l'Impératrice. Les fins de Strauss sont admirables. Quelques accords, parfois aux bois, souvent aux cors. Un sourire qui s'efface. Des fins pianissimo. Il faut être sûr de son emprise, de son art...
Leicht will ich's machen Dir und mir
Je veux que ce jour soit léger pour toi et pour moi
Il faut être léger d'un cœur léger avec des mains légères Tenir et prendre, tenir et laisser.
"La Marschallin est le rôle suprême ‑ surtout pour une femme dans sa maturité. Il y a tout à exprimer : le bonheur, la tristesse, le plaisir, la nostalgie ‑ et aussi, j'en suis sûre, l'espoir de nouveaux plaisirs, de nouveaux bonheurs : son aventure avec ce jeune homme n'est pas un drame, mais une étape...
‑ ... noyée dans beaucoup de Schlagsahne1. Il faudrait suivre des régimes musicaux amaigrissants : garder Strauss comme le foie gras, une fois par an, pour les jours de fête carillonnés...