LE PORRIER Herbert- Le luthier de Crémone (p. 42 - 43)
... Pour qu'il ne fût pas dit qu'il usurpait le pain pendant les semaines où il ne pouvait se rendre utile, Antoine fut envoyé en commissions sans que l'heure lui en fût mesurée. Le plus souvent, ces courses visaient au réapprovisionnement en huile d'aspic, résine de sang-dragon, sandaraque ou essence de térébenthine qui entraient dans la composition du vernis, et conduisaient auprès du minente Alfandari, l'apothicaire-droguiste dont l'officine tenait l'angle de la contre-allée des Mages.
Une pinte de sang morisque, et le port et la vêture à la mode espagnole conféraient au personnage un air à la fois singulier et fascinant. Alfandari fut le premier à s'apercevoir que les brûlures du garçon avaient besoin de soins. Il y alla d'une demi-once de baume à la jusquiame, et d'un pansement à la charpie habilement noué, sans tenir compte des protestations d'Antoine que celui-ci n'avait pas de quoi payer. Ce mouvement de charité chrétienne venant d'un homme qui passait pour être à moitié mécréant eut un effet inattendu : à mesure que l'apothicaire-droguiste lui liait les doigts, Antoine laissa se délier sa langue, et quelque chose comme de l'amitié se glissa entre ces deux êtres que par ailleurs tout séparait. Antoine eut-il le sentiment d'apercevoir le reflet du père qui lui manquait? Le marchand fut-il ému par l'état d'abandon dans lequel il voyait Antoine? On convint que le garçon viendrait se faire panser tous les jours sans qu'il en coûtât un sol, et la proposition était faite de telle manière que l'orgueil du pauvre n'eût pas à en souffrir. Antoine se fit la promesse à part soi que le premier violon qui sortirait de ses mains serait pour l'apothicaire-droguiste, et je puis révéler qu'il tint cet engagement...
Une pinte de sang morisque, et le port et la vêture à la mode espagnole conféraient au personnage un air à la fois singulier et fascinant. Alfandari fut le premier à s'apercevoir que les brûlures du garçon avaient besoin de soins. Il y alla d'une demi-once de baume à la jusquiame, et d'un pansement à la charpie habilement noué, sans tenir compte des protestations d'Antoine que celui-ci n'avait pas de quoi payer. Ce mouvement de charité chrétienne venant d'un homme qui passait pour être à moitié mécréant eut un effet inattendu : à mesure que l'apothicaire-droguiste lui liait les doigts, Antoine laissa se délier sa langue, et quelque chose comme de l'amitié se glissa entre ces deux êtres que par ailleurs tout séparait. Antoine eut-il le sentiment d'apercevoir le reflet du père qui lui manquait? Le marchand fut-il ému par l'état d'abandon dans lequel il voyait Antoine? On convint que le garçon viendrait se faire panser tous les jours sans qu'il en coûtât un sol, et la proposition était faite de telle manière que l'orgueil du pauvre n'eût pas à en souffrir. Antoine se fit la promesse à part soi que le premier violon qui sortirait de ses mains serait pour l'apothicaire-droguiste, et je puis révéler qu'il tint cet engagement...