FEIYU Bi - L'opéra de la lune (p.40-42)
…Bingzhang
avait cru qu’il pourrait se détendre un peu quand l’argent serait arrivé. Ce
fut exactement le contraire qui se produisit car une troupe d’opéra n’est ni
une association de beaux-arts, ni une association d’écrivains. Dans ce genre
d’association, celui qui devient vieux peut rester chez lui à calligraphier des
caractères pour une enseigne, ou peindre des pruniers ou des grappes de raisin,
et celui lui suffit pour subsister. Il n’a pas besoin de se démener et de se
battre du matin au soir. On pourrait même dire que plus il vieillit, plus la
vie lui est facile. Pour un acteur d’opéra, il en va tout autrement. Il ne peut
pas monter un opéra en chantant tout seul chez lui. Un bon acteur, pour obtenir
une promotion ou un appartement, doit être capable de jouer tous les rôles
devant les dirigeants et de se muer tour à tour, pour mieux les convaincre, en sheng, en dan, en jing, en mo ou en chou. De toute façon, qu’il chante ou joue d’un instrument dans
l’orchestre, celui qui fait partie d’une troupe d’opéra est un travailleur de
force. Quand il est vieux, son corps est comme un désert aride qui, même
arrosé, ne peut plus lui être d’aucune utilité. Il ne gagne rien mais il
dépense beaucoup. L’argent était justement le problème qui obsédait Bingzhang.
Désormais, il n’était plus seulement directeur d’une troupe d’opéra, il était
aussi commerçant et devait, par conséquent, faire fructifier le capital. Il se
rappelait l’époque où il fallait aller au cours de formation après le travail.
Il avait retenu la formule d’un homme célèbre : « Le capital est une
chose sale qui ne peut s’amasser qu’en faisant couler le sang. » C’était
parfaitement vrai. Il fallait certainement faire couler le sang. Quant à savoir
si d’était une chose sale, on verrait par la suite. Le directeur de la troupe
devait donc faire couler le sang car, sans lui, il ne pouvait rien faire. Il
fallait produire, produire à tout prix et toujours augmenter la production.
C’était une nécessité vitale. Il était donc indispensable que L’Envol vers la lune démarre le plus
vite possible. L’argent ! L’argent occupait maintenant ses rêves…