KRAUSSER Helmut - Le caniche noir de la diva (p.19-21)
... Soudain, sur la petite colline à
côté du temple d'Apollon, quelque chose scintilla, scintilla, grandit et... se
transforma en une étrange lueur. Une silhouette se détacha de cette lueur, une
forme, la forme d'une femme en robe argentée, les épaules nues, à une centaine
de mètres de moi. Une femme à la longue chevelure brune. Elle était plantée là,
immobile, et se mit à chanter. Doucement, tout doucement, mais sans qu'on
puisse douter de qui était cette voix. je savais aussi ce qu'elle
chantait: des rôles qui l'avaient rendue célèbre. Norma. Tosca. Lucia. Mais
tout cela ‑ comment l'expliquer? ‑ en même temps. Un extrait
de ceci, un extrait de cela. En l'écoutant attentivement, il semblait que
toutes sortes de voix sortaient de sa bouche sans qu'on eût, en conséquence,
l'impression d'un chœur. Aucune note ne sonnait faux ou incongrue, tout
concourait à une musique extraterrestre, à la fois familière et pourtant sans
ressemblance avec ce qu'on avait déjà entendu.
Combien de kilomètres parcourt le sang dans notre corps en un jour ? je ne le sais pas, mais une nuit comme celle‑là, il faut rajouter quelques tours d'honneur. Maria ne chantait pas dans ma direction; le visage en profil perdu, elle ne soulignait par nul geste, nul frémissement, ce qu'elle chantait; ses bras pendaient mollement le long de son corps. Je n'ai pas la moindre idée du temps que je passai, caché dans les buissons du talus.
Quelque chose au tréfonds de moi murmurait qu'il fallait que je me lève et aille à sa rencontre. Mais mon corps était paralysé, avait la pesanteur du plomb.
J'avais l'impression, le souvenir de Parsifal s'imposant, d'être cet imbécile qui regarde le spectacle avec de grands yeux et ne vient pas au secours du roi du Graal. Venir à son secours. Elle exige mon assistance. Telles sont les pensées qui s'emparèrent de moi; Je ne demandai pas : Du secours pour quoi ? Contre qui ?
Je rassemblai mon courage et fis trois pas dans la direction de Maria. À chacun d'eux, la forme s'estompait, perdait de son éclat et de sa netteté. je me jetai à terre, mais il était trop tard. Comme si une barrière imaginaire avait été enfoncée, le charme avait disparu : d'un instant à l'autre, il n y eut plus rien à voir, plus rien à entendre. Le silence me prit par le col et me cria: Perturbateur! L'obscurité se planta devant moi comme un voyou, sembla me dire : Approche donc! Allez approche! C'était humiliant. C'était illogique. je veux dire que si Maria se produit, pourquoi me tolère‑t‑elle quand je suis à cent mètres d'elle, mais pas à quatre-vingts ? Qu'est‑ce qu'elle veut de moi? Que je l'écoute ? Que j'apprécie sa voix ? Bien sûr, mais elle chante tout bas, on l'apprécierait beaucoup plus en étant tout près. Suis‑je un oiseau de hasard ? Maria ne perçoit‑elle la présence des spectateurs indésirables que dans un certain rayon ? Ce sont des spéculations qui paraissent grotesques, je sais. »
Nagy était un homme d'environ un mètre quatre-vingts; il avait la taille élancée d'un danseur de ballet. Ses cheveux noirs, coupés court et légèrement bouclés, de petites mèches grises sur les tempes, rappelaient un tableau de la Renaissance, un membre de la famille des Médicis, dont Cora ne retrouvait pas le prénom. Elle prit conscience que, tout le dimanche, elle avait été heureuse à l'idée de le revoir, qu' elle éprouvait à l'égard de cet individu obscur un intérêt encore plus obscur. Elle avait l'impression de fondre sous ses paroles et de partir à la dérive à bord d'une gondole. Comme si elle avait quitté sa blouse de travail et, par enchantement, se retrouvait en robe du soir, celle que Nagy venait de décrire ‑ argentée et les épaules nues, une robe qui change les femmes en fées et les beautés en déesses.
« Vous êtes amoureux de Maria
‑ Amoureux... qu'est‑ce que cela veut dire ? Non... L'amour est une chose qui est à des années lumière de moi ‑ il cligne des yeux, il est présent, ça ne fait aucun doute, mais ‑ comme Richard disait déjà à Cosima : Ça réussit tous les cinq mille ans! et ça fait juste cent trente ans, comment pourrais‑je - bon... »...
Combien de kilomètres parcourt le sang dans notre corps en un jour ? je ne le sais pas, mais une nuit comme celle‑là, il faut rajouter quelques tours d'honneur. Maria ne chantait pas dans ma direction; le visage en profil perdu, elle ne soulignait par nul geste, nul frémissement, ce qu'elle chantait; ses bras pendaient mollement le long de son corps. Je n'ai pas la moindre idée du temps que je passai, caché dans les buissons du talus.
Quelque chose au tréfonds de moi murmurait qu'il fallait que je me lève et aille à sa rencontre. Mais mon corps était paralysé, avait la pesanteur du plomb.
J'avais l'impression, le souvenir de Parsifal s'imposant, d'être cet imbécile qui regarde le spectacle avec de grands yeux et ne vient pas au secours du roi du Graal. Venir à son secours. Elle exige mon assistance. Telles sont les pensées qui s'emparèrent de moi; Je ne demandai pas : Du secours pour quoi ? Contre qui ?
Je rassemblai mon courage et fis trois pas dans la direction de Maria. À chacun d'eux, la forme s'estompait, perdait de son éclat et de sa netteté. je me jetai à terre, mais il était trop tard. Comme si une barrière imaginaire avait été enfoncée, le charme avait disparu : d'un instant à l'autre, il n y eut plus rien à voir, plus rien à entendre. Le silence me prit par le col et me cria: Perturbateur! L'obscurité se planta devant moi comme un voyou, sembla me dire : Approche donc! Allez approche! C'était humiliant. C'était illogique. je veux dire que si Maria se produit, pourquoi me tolère‑t‑elle quand je suis à cent mètres d'elle, mais pas à quatre-vingts ? Qu'est‑ce qu'elle veut de moi? Que je l'écoute ? Que j'apprécie sa voix ? Bien sûr, mais elle chante tout bas, on l'apprécierait beaucoup plus en étant tout près. Suis‑je un oiseau de hasard ? Maria ne perçoit‑elle la présence des spectateurs indésirables que dans un certain rayon ? Ce sont des spéculations qui paraissent grotesques, je sais. »
Nagy était un homme d'environ un mètre quatre-vingts; il avait la taille élancée d'un danseur de ballet. Ses cheveux noirs, coupés court et légèrement bouclés, de petites mèches grises sur les tempes, rappelaient un tableau de la Renaissance, un membre de la famille des Médicis, dont Cora ne retrouvait pas le prénom. Elle prit conscience que, tout le dimanche, elle avait été heureuse à l'idée de le revoir, qu' elle éprouvait à l'égard de cet individu obscur un intérêt encore plus obscur. Elle avait l'impression de fondre sous ses paroles et de partir à la dérive à bord d'une gondole. Comme si elle avait quitté sa blouse de travail et, par enchantement, se retrouvait en robe du soir, celle que Nagy venait de décrire ‑ argentée et les épaules nues, une robe qui change les femmes en fées et les beautés en déesses.
« Vous êtes amoureux de Maria
‑ Amoureux... qu'est‑ce que cela veut dire ? Non... L'amour est une chose qui est à des années lumière de moi ‑ il cligne des yeux, il est présent, ça ne fait aucun doute, mais ‑ comme Richard disait déjà à Cosima : Ça réussit tous les cinq mille ans! et ça fait juste cent trente ans, comment pourrais‑je - bon... »...