MEADE-FALKNER John - Le Stradivarius perdu(p.15-16)
… Il était plus de onze heures lorsque Mr Gaskell retourna à
New College. Mais la nuit était inhabituellement douce, avec une lune presque
pleine, et John s’assit un moment sur une banquette garnie de coussins dans
l’embrasure d’une fenêtre au châssis ouvert en pensant à ce qu’il avait entendu
à propose de la musique italienne. Se sentant peu enclin à dormir, il alluma
une bougie et commença à feuilleter quelques-unes des partitions que Mr Gaskell
avait laissées sur la table. Son attention fut tout particulièrement attirée
par un livre de format oblong, relié en vélin taché et frappé d’un blason d’or.
Il s’agissait d’une copie manuscrite de quelques-unes des premières suites pour
violon et clavecin de Graziani, apparemment faite à Naples en l’an 1744 ;
soit de nombreuses années après la mort du compositeur. Bien que l’encre fût
encore jaunie et décolorée, la transcription était fidèle et, en dépit de la
notation désuète, un musicien exercé pouvait la lire sans trop de difficulté.
Par hasard ou pour quelque mystérieuse raison qui échappe à l’analyse, son regard s’arrêta sur une suite de quatre mouvements avec une basse chiffrée pour clavecin. Les autres suites ne portaient qu’un numéro, mais le compositeur avait honoré celle-ci du nom d’Areopagita. John posa presque machinalement le livre sur son pupitre, sortit son violon de son étui et, après l’avoir accordé, il se leva et interpréta le premier mouvement, une courante pleine d’entrain. La lumière de l’unique bougie qui brûlait sur la table suffisait à peine à éclairer la page dont les pliures, phénomène que l’on observe parfois dans des livres faits d’un papier épais et restés longtemps fermés, étaient dans l’ombre. Aussi n’était-ce pas sans difficulté qu’il déchiffrait ce qu’il jouait. Mais chose étrange, la musique de ce monde disparu le poussait à aller de l’avant, et il ne prit pas même le temps d’allumer les bougies qui attendaient, prêtes à l’emploi, dans les candélabres posées des deux côtés du bureau. La courante fut suivie d’une sarabande, et la sarabande, d’une gaillarde. Mon frère jouait face à la fenêtre, tournant le dos au salon et au fauteuil en rotin que j’ai évoqué. La gaillarde commençait par un air vif et hardi et, alors qu’il attaquait les premières mesures, il entendit craquer le fauteuil en rotin…
Par hasard ou pour quelque mystérieuse raison qui échappe à l’analyse, son regard s’arrêta sur une suite de quatre mouvements avec une basse chiffrée pour clavecin. Les autres suites ne portaient qu’un numéro, mais le compositeur avait honoré celle-ci du nom d’Areopagita. John posa presque machinalement le livre sur son pupitre, sortit son violon de son étui et, après l’avoir accordé, il se leva et interpréta le premier mouvement, une courante pleine d’entrain. La lumière de l’unique bougie qui brûlait sur la table suffisait à peine à éclairer la page dont les pliures, phénomène que l’on observe parfois dans des livres faits d’un papier épais et restés longtemps fermés, étaient dans l’ombre. Aussi n’était-ce pas sans difficulté qu’il déchiffrait ce qu’il jouait. Mais chose étrange, la musique de ce monde disparu le poussait à aller de l’avant, et il ne prit pas même le temps d’allumer les bougies qui attendaient, prêtes à l’emploi, dans les candélabres posées des deux côtés du bureau. La courante fut suivie d’une sarabande, et la sarabande, d’une gaillarde. Mon frère jouait face à la fenêtre, tournant le dos au salon et au fauteuil en rotin que j’ai évoqué. La gaillarde commençait par un air vif et hardi et, alors qu’il attaquait les premières mesures, il entendit craquer le fauteuil en rotin…