DOSTOÏEVSKI Fedor - Netochka Nezvatovna (p.103-104)
... Elle dormait d'un sommeil profond.
Ce fut comme s'il respirait plus librement, une fois qu'il eut terminé son travail. Cette fois, plus rien du tout ne le dérangeait, mais il y avait toujours quelque chose qui l'inquiétait. Il déplaça la bougie, se mit face à la porte, afin de ne même plus voir le lit. Finalement, il prit son violon, et, avec une sorte de geste désespéré, il le frappa de son archet... La musique commença.
Mais ce n'était pas de la musique... Je me souviens de tout distinctement, jusqu'à la dernière seconde je me souviens de tout ce qui, à ce moment‑là, frappa mon attention. Non, ce n'était pas une musique comme j'eus, plus tard, l'occasion d'en entendre. Ce n'étaient pas des sons de violon, mais c'était comme si la voix affreuse de je ne sais qui se mettait, pour la première fois, à tonner dans notre sombre logis. Peut‑être mes impressions étaient‑elles fausses, maladives, peut-être mes sentiments étaient‑ils bouleversés par tout ce dont j'étais témoin, peut‑être étaient‑ils préparés à des impressions terribles, porteuses de souffrances insurmontables, mais je reste fermement persuadée que j'entendais des gémissements, les cris d'un homme, ses pleurs ; un désespoir total s'épanchait dans ces sons, et, pour finir, une fois qu eut retenti le dernier et terrifiant accord qui contenait tout ce qu'il peut y avoir de terrifiant dans les pleurs, d'insupportable dans la souffrance et d'angoissant dans une angoisse sans espoir,‑ tout cela comme réuni d'un coup... je fus incapable de me retenir ‑je me mis à trembler, les larmes jaillirent de mes yeux, et, me jetant vers papa avec un cri terrible, désespéré, je l'enserrai dans mes bras. Lui, il poussa un cri et rebaissa son violon.
Pendant une minute, il resta comme perdu. Pour finir, ses yeux se mirent comme à courir de tous côtés ; c'était comme s'il cherchait quelque chose, soudain, il reprit son violon, il le brandit au‑dessus de ma tête... encore une minute, et, peut‑être bien, il m'aurait tuée sur place.
‑ Papa ! lui criai‑je, papa
Il se mit à trembler comme une feuille quand il entendit ma voix et recula de deux pas.
‑ Ah ! mais il y a encore toi qui restes ! Alors tout n'est pas encore fini ! Alors, toi, tu restes encore avec moi ! s'écria‑t‑il, me soulevant en l'air par les épaules.
‑ Papa ! m'écriai‑je à nouveau, ne me fais pas peur, au nom du ciel ! j'ai peur ! aïe !
Mes larmes le saisirent. Il me reposa doucement sur le sol et, pendant une minute, resta à me regarder sans rien dire, comme s'il essayait de me reconnaître et de se souvenir. Pour finir, soudain, ce fut comme si quelque chose l'avait retourné, comme si je ne sais quelle pensée affreuse venait de le saisir ‑ et des larmes jaillirent hors de ses yeux troublés ; il se pencha vers moi et se mit, fixement à me scruter le visage.
‑ Papa, lui disais‑je, déchirée de frayeur, ne me regarde pas comme ça, papa ! Partons d'ici ! partons vite ! partons, sauvons‑nous !
Oui, sauvons‑nous, sauvons‑nous c'est l'heure ! partons, Nétotchka ! vite, plus vite ‑ Et il se mit à s'agiter, comme si c'était seulement à cet instant‑là qu'il avait compris ce qu'il devait faire. Il lançait précipitamment des regards autour de lui, et, apercevant sur le sol le fichu de maman, il le ramassa et le fourra dans sa poche, puis il vit son bonnet, ‑ lui aussi, il le ramassa et le prit, comme s'il se préparait pour un très long voyage et emportait tout ce dont il pourrait avoir besoin...
Ce fut comme s'il respirait plus librement, une fois qu'il eut terminé son travail. Cette fois, plus rien du tout ne le dérangeait, mais il y avait toujours quelque chose qui l'inquiétait. Il déplaça la bougie, se mit face à la porte, afin de ne même plus voir le lit. Finalement, il prit son violon, et, avec une sorte de geste désespéré, il le frappa de son archet... La musique commença.
Mais ce n'était pas de la musique... Je me souviens de tout distinctement, jusqu'à la dernière seconde je me souviens de tout ce qui, à ce moment‑là, frappa mon attention. Non, ce n'était pas une musique comme j'eus, plus tard, l'occasion d'en entendre. Ce n'étaient pas des sons de violon, mais c'était comme si la voix affreuse de je ne sais qui se mettait, pour la première fois, à tonner dans notre sombre logis. Peut‑être mes impressions étaient‑elles fausses, maladives, peut-être mes sentiments étaient‑ils bouleversés par tout ce dont j'étais témoin, peut‑être étaient‑ils préparés à des impressions terribles, porteuses de souffrances insurmontables, mais je reste fermement persuadée que j'entendais des gémissements, les cris d'un homme, ses pleurs ; un désespoir total s'épanchait dans ces sons, et, pour finir, une fois qu eut retenti le dernier et terrifiant accord qui contenait tout ce qu'il peut y avoir de terrifiant dans les pleurs, d'insupportable dans la souffrance et d'angoissant dans une angoisse sans espoir,‑ tout cela comme réuni d'un coup... je fus incapable de me retenir ‑je me mis à trembler, les larmes jaillirent de mes yeux, et, me jetant vers papa avec un cri terrible, désespéré, je l'enserrai dans mes bras. Lui, il poussa un cri et rebaissa son violon.
Pendant une minute, il resta comme perdu. Pour finir, ses yeux se mirent comme à courir de tous côtés ; c'était comme s'il cherchait quelque chose, soudain, il reprit son violon, il le brandit au‑dessus de ma tête... encore une minute, et, peut‑être bien, il m'aurait tuée sur place.
‑ Papa ! lui criai‑je, papa
Il se mit à trembler comme une feuille quand il entendit ma voix et recula de deux pas.
‑ Ah ! mais il y a encore toi qui restes ! Alors tout n'est pas encore fini ! Alors, toi, tu restes encore avec moi ! s'écria‑t‑il, me soulevant en l'air par les épaules.
‑ Papa ! m'écriai‑je à nouveau, ne me fais pas peur, au nom du ciel ! j'ai peur ! aïe !
Mes larmes le saisirent. Il me reposa doucement sur le sol et, pendant une minute, resta à me regarder sans rien dire, comme s'il essayait de me reconnaître et de se souvenir. Pour finir, soudain, ce fut comme si quelque chose l'avait retourné, comme si je ne sais quelle pensée affreuse venait de le saisir ‑ et des larmes jaillirent hors de ses yeux troublés ; il se pencha vers moi et se mit, fixement à me scruter le visage.
‑ Papa, lui disais‑je, déchirée de frayeur, ne me regarde pas comme ça, papa ! Partons d'ici ! partons vite ! partons, sauvons‑nous !
Oui, sauvons‑nous, sauvons‑nous c'est l'heure ! partons, Nétotchka ! vite, plus vite ‑ Et il se mit à s'agiter, comme si c'était seulement à cet instant‑là qu'il avait compris ce qu'il devait faire. Il lançait précipitamment des regards autour de lui, et, apercevant sur le sol le fichu de maman, il le ramassa et le fourra dans sa poche, puis il vit son bonnet, ‑ lui aussi, il le ramassa et le prit, comme s'il se préparait pour un très long voyage et emportait tout ce dont il pourrait avoir besoin...