BOULANGER Daniel - Mes coquins (p.32-33)
...Les applaudissements de la salle l'interrompirent. Ils saluaient l'arrivée du chef dont le plastron éclatant sautait de violon en violon jusqu'au perchoir pour saisir sa baguette et s'incliner très bas. Ses ailes de corbeau tombèrent et il les ramena d'un coup de tête, en se redressant fièrement. Le silence fut subit, un désert, et les premières notes eurent une fraîcheur de pluie. Charles, qui n'avait rien à souffler avant vingt deux mesures, leva la tête vers la coupole enguirlandée de muses et d'anges dont les couleurs troublent l'ombre parme. Dans l'espace à chaleur de serre, du terreau de la fosse montaient les ramures, où tous les auditeurs réduits à la taille d'oiseaux allaient nicher et couver. La musique n'était plus que le bonheur de l'air s'enlaçant lui même pour se reproduire à l'infini. Sur un signe du maître, Charles attaqua sa partie, une sorte de de fil qu'il dévidait en zigzaguant dans les couloirs des cuivres pour les tirer tout à coup et amener sur la scène , de l'ombre des coulisses à sa terrasse éclatante, Mme Omnes. Après un rapide salut à la salle qui l'acclamait, effaçant le solo de Charles, Mme Omnes leva un sourcil vers le Volatile, et le premier grand air put commencer. Charles n'entrait plus depuis longtemps dans le rêve qu'il servait au public. Il se contentait de coudre de son mieux les morceaux de costume qu'offrait l'opéra et, sans jamais épouser les désirs de Mme Omnes ni ceux des farouches qui veillaient sur elle, il s'étonnait, pour la énième fois d'être encore là, ce soir, dans cette fosse. L'image de son père se trouva soudain devant tous les pupitres, éclairés à la diable par les veilleuses des partitions, et Charles fit une fausse note...