HUSTON Nancy - Prodige (P.79-80)
... LARA
Vis, ma fille ! Respire, je t'en supplie ! Non seulement tes yeux commencent à voir, mais ta petite main se resserre maintenant sur mon doigt, je ne connais pas de sensation plus exquise, bientôt tes lèvres se serreront sur mon sein aussi n'est-ce pas? et on pourra s'en aller... Tu verras, dès qu'on sera à la maison je te présenterai les pianos les uns après les autres, ils ont chacun son tempérament, ses qualités et ses défauts, au premier étage il y a le vieux Steinway droit de Sofia - quand tu auras trois ans on le mettra dans ta chambre - et puis, au salon, le Yamaha et le magnifique Pleyel demi-queue - c'est le Pleyel que j'aime et que je déteste le plus, quand on le regarde depuis la cuisine avec son couvercle relevé, on dirait une énorme feuille noire - ou un pétale noir - ou alors le pan de jupe noire d'une danseuse de flamenco... oh elle m'impressionne tant, cette grâce dure et figée! cette insolence immobile! Une fois j'ai rêvé qu'en ouvrant le Pleyel, je trouvais ma mère couchée à l'intérieur, toute recroquevillée et desséchée, les yeux fermés. J'ai compris qu’elle était morte et que le piano était son cercueil, mais en même temps elle me parlait, j'entendais sa voix me haranguer : "je t'ai bien dit que la musique était une question de vie ou de mort, disait-elle, et tu n'as pas voulu me croire. Et voilà, c'est bien fait pour toi, tu ne feras jamais partie des élus: C'est ainsi, tu n'as qu'à t'en prendre qu'à toi-même."...
Vis, ma fille ! Respire, je t'en supplie ! Non seulement tes yeux commencent à voir, mais ta petite main se resserre maintenant sur mon doigt, je ne connais pas de sensation plus exquise, bientôt tes lèvres se serreront sur mon sein aussi n'est-ce pas? et on pourra s'en aller... Tu verras, dès qu'on sera à la maison je te présenterai les pianos les uns après les autres, ils ont chacun son tempérament, ses qualités et ses défauts, au premier étage il y a le vieux Steinway droit de Sofia - quand tu auras trois ans on le mettra dans ta chambre - et puis, au salon, le Yamaha et le magnifique Pleyel demi-queue - c'est le Pleyel que j'aime et que je déteste le plus, quand on le regarde depuis la cuisine avec son couvercle relevé, on dirait une énorme feuille noire - ou un pétale noir - ou alors le pan de jupe noire d'une danseuse de flamenco... oh elle m'impressionne tant, cette grâce dure et figée! cette insolence immobile! Une fois j'ai rêvé qu'en ouvrant le Pleyel, je trouvais ma mère couchée à l'intérieur, toute recroquevillée et desséchée, les yeux fermés. J'ai compris qu’elle était morte et que le piano était son cercueil, mais en même temps elle me parlait, j'entendais sa voix me haranguer : "je t'ai bien dit que la musique était une question de vie ou de mort, disait-elle, et tu n'as pas voulu me croire. Et voilà, c'est bien fait pour toi, tu ne feras jamais partie des élus: C'est ainsi, tu n'as qu'à t'en prendre qu'à toi-même."...