SOLDATI Mario - Le festin du Commandeur (p.112)
... Nous étions tous trois, - paola,W... et moi - dans une loge d'avant scène. Nos regards (j'entends également par là celui de Paola car la fameuse nuit où W... s'était confié à moi, elle avait fait semblant de dormir, mais elle n'avait pas perdu un mot de notre entretien), nos regards, dis-je, convergeaient tous vers Romualdi.
Lui aussi avait dû nous voir car les timbales nous faisaient face, mais il n'en laissa rien paraître. Bien que W... fût caché dans l'ombre de la loge, je ne doutais pas que Romualdi l'eût repéré : au moment où son voisin, la contrebasse, s'était penché pour lui chuchoter quelques mots à l'oreille en nous désignant du regard, n'avais-je pas vu les yeux du timbalier se détourner vers la scène avec un souverain mépris?
Tant bien que mal, chacun tint sa partie, mais ce soir-là personne - ni le brave Rossi, ni le ténor, ni Desdémone, ni Iago - personne ne se couvrit de gloire à l’exception d'un seul dont l'entrain endiablé passa sans doute inaperçu de tous, hormis de notre trio : je veux parler de Romualdi. Pourtant, le spectacle en valait la peine et il fallait voir avec quelle gravité, quelle aimable désinvolture il effleurait ses batteries à chaque roulement, avec quelle expression résolue peinte sur sa grosse figure il se penchait amoureusement sur telle ou telle membrane, l'oreille tendue, les yeux mi-clos pour mieux régler l'intonation, avec quelle indomtable énergie il attaquait, tambourinait crescendo sans reprendre haleine, arrêtait net le jeu de ses baguettes qu'il laissait en suspens pour repartir de plus belle l'instant d'après, emporté par la fougue de sa superbe et triomphale maestria...
Lui aussi avait dû nous voir car les timbales nous faisaient face, mais il n'en laissa rien paraître. Bien que W... fût caché dans l'ombre de la loge, je ne doutais pas que Romualdi l'eût repéré : au moment où son voisin, la contrebasse, s'était penché pour lui chuchoter quelques mots à l'oreille en nous désignant du regard, n'avais-je pas vu les yeux du timbalier se détourner vers la scène avec un souverain mépris?
Tant bien que mal, chacun tint sa partie, mais ce soir-là personne - ni le brave Rossi, ni le ténor, ni Desdémone, ni Iago - personne ne se couvrit de gloire à l’exception d'un seul dont l'entrain endiablé passa sans doute inaperçu de tous, hormis de notre trio : je veux parler de Romualdi. Pourtant, le spectacle en valait la peine et il fallait voir avec quelle gravité, quelle aimable désinvolture il effleurait ses batteries à chaque roulement, avec quelle expression résolue peinte sur sa grosse figure il se penchait amoureusement sur telle ou telle membrane, l'oreille tendue, les yeux mi-clos pour mieux régler l'intonation, avec quelle indomtable énergie il attaquait, tambourinait crescendo sans reprendre haleine, arrêtait net le jeu de ses baguettes qu'il laissait en suspens pour repartir de plus belle l'instant d'après, emporté par la fougue de sa superbe et triomphale maestria...