BURGONDE - Icare et la Flûte enchantée (p.120-123)
... L'accord
final me tira de mon rêve comme un coup de trompe.
Les planches de ma loge tremblaient. L'ovation déferlait, Debout, on trépignait, on hurlait, on tapait des mains à chaque apparition d'un comédien entre les deux pans de la tenture. Sarastro et Papageno avaient reçu leur salaire de bravos. Le pauvre Johann Joseph Nouseul avait si bien endossé la peau de Monostatos qu'on le couvrait de huées et de quolibets. Désarçonné par tant de hargne, il marquait le pas, puis effrayé, faisait claquer son fouet comme à la parade, profitant de l'instant de surprise pour fuir dans les coulisses. Josepha n'avait pas à payer la rançon de son rôle. Elle avait su capter les cœurs par sa détresse de mère outragée. Les échos de ses éblouissantes vocalises illumineraient longtemps encore la nuit de nos mémoires. Reine du Freyhaus, ses sujets lui retournaient les mille reflets des feux qu'elle leur avait jetés. Benedikt Schack, superbe Tamino, portait sur son visage la modeste fierté d'un compagnon. il disparut un instant pour jaillir aussitôt tenant Pamina par la main. Elle souriait, étonnée par la fête, tout encore à son rêve. Elle pencha la tête et le buste en une discrète révérence, sans courber le cou ni baisser les yeux. Le rideau s'ouvrit entier : ils étaient là, rayonnants, autour de Sarastro, tous ces prêtres aux visages fendus de paillardise. Qu'ils avaient bien tenu leur rôle, ces joyeux soiffards, dans ces chœurs trop profonds pour être détournés au service d'une religion. L'homme‑oiseau sautillait de joie. Il avait gagné son pari. Avec complaisance, il encourageait les vivats et à grands brassements de plumes ranimait le feu quand il s'éteignait. Ils étaient tous là. Non. Pas tous. Manquait Mozart. Schikaneder hurlait, il voulait le silence maintenant. On ne l'entendait pas. Il disparut quelques secondes et revint des coulisses en agitant le carillon. Les rires eurent raison des clameurs. Alors, profitant d'une éclaircie, il s'écria d'un organe enroué:
‑ Peuple de Wieden, peuple de Vienne...
Applaudissements.
‑ Non, par pitié!
Rires, puis nouvelle plage de calme.
‑ Ce merveilleux opéra, dont vous avez par votre présence honoré la première représentation, est l’œuvre de... votre serviteur...
Hurlements. Schikaneder s'égosillait. Enfin, on se tut pour le laisser aller jusqu'au bout.
‑ Et du maître de musique, l'incomparable, l'unique Wolfgang Amadeus Mozart!
Tous les yeux le cherchèrent parmi l'orchestre. Chacun de nous, imaginant déjà le voir bondir hors des coulisses, avait suspendu ses mains pour un vibrant tribut. Mais, comme on ne vit rien venir, ce fut le silence soudain. Pas longtemps car enfin la foule scandait son nom. Emmanuel se baissa vers ma lucarne:
‑ Icare, cours le chercher ! Il doit être dans les vestiaires.
Il ne s'y trouvait pas. Alors, je descendis dans le deuxième dessous. Au travers d'une forêt de mâts à chantignoles, je l'aperçus enfin, assis sur le tambour d'un treuil, la tête entre les mains. je les effleurai.
‑ Ils vous demandent. C'est vous qu'ils attendent. Venez, je vous en prie!...
Les planches de ma loge tremblaient. L'ovation déferlait, Debout, on trépignait, on hurlait, on tapait des mains à chaque apparition d'un comédien entre les deux pans de la tenture. Sarastro et Papageno avaient reçu leur salaire de bravos. Le pauvre Johann Joseph Nouseul avait si bien endossé la peau de Monostatos qu'on le couvrait de huées et de quolibets. Désarçonné par tant de hargne, il marquait le pas, puis effrayé, faisait claquer son fouet comme à la parade, profitant de l'instant de surprise pour fuir dans les coulisses. Josepha n'avait pas à payer la rançon de son rôle. Elle avait su capter les cœurs par sa détresse de mère outragée. Les échos de ses éblouissantes vocalises illumineraient longtemps encore la nuit de nos mémoires. Reine du Freyhaus, ses sujets lui retournaient les mille reflets des feux qu'elle leur avait jetés. Benedikt Schack, superbe Tamino, portait sur son visage la modeste fierté d'un compagnon. il disparut un instant pour jaillir aussitôt tenant Pamina par la main. Elle souriait, étonnée par la fête, tout encore à son rêve. Elle pencha la tête et le buste en une discrète révérence, sans courber le cou ni baisser les yeux. Le rideau s'ouvrit entier : ils étaient là, rayonnants, autour de Sarastro, tous ces prêtres aux visages fendus de paillardise. Qu'ils avaient bien tenu leur rôle, ces joyeux soiffards, dans ces chœurs trop profonds pour être détournés au service d'une religion. L'homme‑oiseau sautillait de joie. Il avait gagné son pari. Avec complaisance, il encourageait les vivats et à grands brassements de plumes ranimait le feu quand il s'éteignait. Ils étaient tous là. Non. Pas tous. Manquait Mozart. Schikaneder hurlait, il voulait le silence maintenant. On ne l'entendait pas. Il disparut quelques secondes et revint des coulisses en agitant le carillon. Les rires eurent raison des clameurs. Alors, profitant d'une éclaircie, il s'écria d'un organe enroué:
‑ Peuple de Wieden, peuple de Vienne...
Applaudissements.
‑ Non, par pitié!
Rires, puis nouvelle plage de calme.
‑ Ce merveilleux opéra, dont vous avez par votre présence honoré la première représentation, est l’œuvre de... votre serviteur...
Hurlements. Schikaneder s'égosillait. Enfin, on se tut pour le laisser aller jusqu'au bout.
‑ Et du maître de musique, l'incomparable, l'unique Wolfgang Amadeus Mozart!
Tous les yeux le cherchèrent parmi l'orchestre. Chacun de nous, imaginant déjà le voir bondir hors des coulisses, avait suspendu ses mains pour un vibrant tribut. Mais, comme on ne vit rien venir, ce fut le silence soudain. Pas longtemps car enfin la foule scandait son nom. Emmanuel se baissa vers ma lucarne:
‑ Icare, cours le chercher ! Il doit être dans les vestiaires.
Il ne s'y trouvait pas. Alors, je descendis dans le deuxième dessous. Au travers d'une forêt de mâts à chantignoles, je l'aperçus enfin, assis sur le tambour d'un treuil, la tête entre les mains. je les effleurai.
‑ Ils vous demandent. C'est vous qu'ils attendent. Venez, je vous en prie!...