SAND Georges - Les Maîtres Sonneurs (p.154-155)
... Et, sans attendre le consentement de François, il enfla sa musette et se mit à jouer, aux cris de joie des filles et au grand remerciement des garçons.
J'avais, dès les premiers mots, reconnu la voix et l'accent bourbonnais du muletier; mais je ne pouvais en croire mes yeux, tant je le voyais changé à son profit.
Au lieu de son sarrau encharbonné, de ses vieilles guêtres de cuir, de son chapeau cabossé et de sa figure noire, il avait un habillement neuf, tout en fin droguet blanc jaspé de bleu, du beau linge, un chapeau de paille enrubanné de trente-six couleurs, la barbe faite, la face bien lavée et rose comme une pêche: enfin, c'était le plus bel homme que j'aie vu de ma vie : grand comme un chêne, bien pris de tout son corps, la jambe sèche et nerveuse, les dents comme une chapelet de graine d'ivoire, les yeux comme deux lames de couteau, et l'air avenant d'un bon seigneur. Il reluquait toutes nos filles, souriant aux belles, riant jusqu'aux oreilles devant celles qui n'avaient pas bonne grâce, mais en se montrant joyeux et bon compère à tout le monde, encourageant et animant la danse de l’œil, du pied et de la voix. car il ne soufflait que peu dans la musette, tant il était habile à gouverner son vent, et disait, entre chaque bouffée; mille drôleries et sornettes qui mettaient tous les esprits en joie et folie.
Et de plus, au lieu de compter les reprises et carrements comme font les ménétriers de profession, qui s'arrêtent tout juste, quand ils ont gagné leurs deux sous pour chaque couple, il se mit à cornemuser d'affilée un bon quart d'heure durant, changeant ses airs on ne sait comment, car il passait de l'un à l'autre sans qu'on en vît la couture; et c'étaient les plus belles bourrées du monde, toutes inconnues chez nous, mais si enlevantes et d'un mouvement si dansable, qu'il nous semblait voler en l'air plutôt que gigotter sur le gazon...
J'avais, dès les premiers mots, reconnu la voix et l'accent bourbonnais du muletier; mais je ne pouvais en croire mes yeux, tant je le voyais changé à son profit.
Au lieu de son sarrau encharbonné, de ses vieilles guêtres de cuir, de son chapeau cabossé et de sa figure noire, il avait un habillement neuf, tout en fin droguet blanc jaspé de bleu, du beau linge, un chapeau de paille enrubanné de trente-six couleurs, la barbe faite, la face bien lavée et rose comme une pêche: enfin, c'était le plus bel homme que j'aie vu de ma vie : grand comme un chêne, bien pris de tout son corps, la jambe sèche et nerveuse, les dents comme une chapelet de graine d'ivoire, les yeux comme deux lames de couteau, et l'air avenant d'un bon seigneur. Il reluquait toutes nos filles, souriant aux belles, riant jusqu'aux oreilles devant celles qui n'avaient pas bonne grâce, mais en se montrant joyeux et bon compère à tout le monde, encourageant et animant la danse de l’œil, du pied et de la voix. car il ne soufflait que peu dans la musette, tant il était habile à gouverner son vent, et disait, entre chaque bouffée; mille drôleries et sornettes qui mettaient tous les esprits en joie et folie.
Et de plus, au lieu de compter les reprises et carrements comme font les ménétriers de profession, qui s'arrêtent tout juste, quand ils ont gagné leurs deux sous pour chaque couple, il se mit à cornemuser d'affilée un bon quart d'heure durant, changeant ses airs on ne sait comment, car il passait de l'un à l'autre sans qu'on en vît la couture; et c'étaient les plus belles bourrées du monde, toutes inconnues chez nous, mais si enlevantes et d'un mouvement si dansable, qu'il nous semblait voler en l'air plutôt que gigotter sur le gazon...