BAPTISTE-MARREY - Elvira (p.54-55)
Journal d'Alba
Frenhofergasse
Vienne
... Je dis d'abord non, et puis je cède. Je cède toujours. Je me souviens de cet affreux retour à Linz, trois ans après notre départ de cette ville. Je savais par hasard ‑ un mot murmuré avant de s'endormir ‑ que Walter avait été amoureux de Dora, l'était peut-être encore ? Elle et son mari nous avaient reçus avec beaucoup de gentillesse ‑ une perfide gentillesse ? Elle nous avait laissé leur chambre, sa chambre. Au petit matin, dans ce lit qui était le sien, Walter m'a prise. Qu'imaginait‑il ? Et qu'imaginait Dora ? Espéraient‑ils par inadvertance se surprendre ‑ comme le mari de Dora, entrant dans sa chambre, m'a surprise, nue, sortant de ma douche ? Et moi comme une vraie bourrique, j'ai cédé à Walter, comme toutes les autres fois. Il s'insinue, m'ouvre peu à peu, et finalement je jouis. En me détestant. Ah ! je suis bien une Elvira !
Ah tais toi cœur injuste
Ne palpite pas ainsi dans ma poitrine
C’est un impie un traître
Ce serait péché que d’en avoir pitié
Dora a-t-elle eu pour Jonas le même amour muet ? Il ne faut sans doute pas éclairer ces endroits troubles. Da Ponte, en vieux libertin, nous y invite pourtant ‑ aussi clairement que le permettent les conventions pudibondes de l'opéra. Leporello déguisé en Don Juan s'échauffe à courtiser Elvira sous les yeux de son padrone, et l'idée même de se faire remplacer, de la dégradation de cette femme jadis aimée, désirée ‑ livrée à un valet ‑, excite ce grand seigneur faisandé.
Che bella notte ! Elle est plus claire que le jour. Elle semble faite pour flâner à la recherche de filles ! Deux heures du matin. J'aurais voulu savoir comment s'est terminée l'affaire entre Leporello et Donna Elvira.
Un corps est substitué à un autre corps. Un mâle prend la place d'un autre mâle. Le plaisir est le même. Une idée de Da Ponte ‑ et de Mozart ? ‑va plus loin encore : un masque, un déguisement, une voix contrefaite et la proie est séduite. Il n'est même pas besoin de posséder soi‑même. C'est un jeu d'échecs. Ce n'est pas la guerre. Inutile de tuer. Les signes suffisent. Don Juan se contente du signe de sa victoire. Il l'enregistre, si possible publiquement, et il court jouer une autre partie.
Que ce soient les pions noirs ou les pions blancs, les hommes ou les femmes qui jouent ‑ quelle importance ? Sauf que, d'ordinaire, les femmes ont à figurer les signes de la soumission et de la défaite.
Frenhofergasse
Vienne
... Je dis d'abord non, et puis je cède. Je cède toujours. Je me souviens de cet affreux retour à Linz, trois ans après notre départ de cette ville. Je savais par hasard ‑ un mot murmuré avant de s'endormir ‑ que Walter avait été amoureux de Dora, l'était peut-être encore ? Elle et son mari nous avaient reçus avec beaucoup de gentillesse ‑ une perfide gentillesse ? Elle nous avait laissé leur chambre, sa chambre. Au petit matin, dans ce lit qui était le sien, Walter m'a prise. Qu'imaginait‑il ? Et qu'imaginait Dora ? Espéraient‑ils par inadvertance se surprendre ‑ comme le mari de Dora, entrant dans sa chambre, m'a surprise, nue, sortant de ma douche ? Et moi comme une vraie bourrique, j'ai cédé à Walter, comme toutes les autres fois. Il s'insinue, m'ouvre peu à peu, et finalement je jouis. En me détestant. Ah ! je suis bien une Elvira !
Ah tais toi cœur injuste
Ne palpite pas ainsi dans ma poitrine
C’est un impie un traître
Ce serait péché que d’en avoir pitié
Dora a-t-elle eu pour Jonas le même amour muet ? Il ne faut sans doute pas éclairer ces endroits troubles. Da Ponte, en vieux libertin, nous y invite pourtant ‑ aussi clairement que le permettent les conventions pudibondes de l'opéra. Leporello déguisé en Don Juan s'échauffe à courtiser Elvira sous les yeux de son padrone, et l'idée même de se faire remplacer, de la dégradation de cette femme jadis aimée, désirée ‑ livrée à un valet ‑, excite ce grand seigneur faisandé.
Che bella notte ! Elle est plus claire que le jour. Elle semble faite pour flâner à la recherche de filles ! Deux heures du matin. J'aurais voulu savoir comment s'est terminée l'affaire entre Leporello et Donna Elvira.
Un corps est substitué à un autre corps. Un mâle prend la place d'un autre mâle. Le plaisir est le même. Une idée de Da Ponte ‑ et de Mozart ? ‑va plus loin encore : un masque, un déguisement, une voix contrefaite et la proie est séduite. Il n'est même pas besoin de posséder soi‑même. C'est un jeu d'échecs. Ce n'est pas la guerre. Inutile de tuer. Les signes suffisent. Don Juan se contente du signe de sa victoire. Il l'enregistre, si possible publiquement, et il court jouer une autre partie.
Que ce soient les pions noirs ou les pions blancs, les hommes ou les femmes qui jouent ‑ quelle importance ? Sauf que, d'ordinaire, les femmes ont à figurer les signes de la soumission et de la défaite.