HORNBY Nick - Haute Fidélité (p.66-69)
... Une semaine exactement après le départ de Laura je reçois un coup de fil
d'une femme de Wood Green qui a des 45 tours à vendre. D'habitude je ne me
dérange pas pour les ventes de particuliers, mais cette femme a l'air de s'y
connaître : elle parle labels blancs, cahiers photos, etc., toutes choses qui
suggèrent autre chose qu'une douzaine de disques de l'Electric Light Orchestra
que son fils lui aurait laissés en quittant la famille.
Sa maison est immense, le genre de baraque qui a l'air d'avoir atterri à Wood Green après s'être envolée d'un autre quartier de Londres; quant à elle, ce n'est pas une beauté. Elle a la quarantaine bien tassée, le bronzage presque orange, le visage bizarrement peu ridé; elle porte un jean et un T‑shirt, mais le jean porte un nom italien là où devrait se trouver le nom de monsieur Wrangler ou de monsieur Levi, et le T‑shirt est incrusté d'un logo en verroterie.
Elle ne sourit pas, ne m'offre pas un café, ne me demande pas si j'ai trouvé facilement malgré la pluie battante glacée qui empêchait de voir à trois mètres. Elle me conduit seulement dans un bureau qui prolonge le hall, allume la lumière, indique les 45 tours sur l'étagère du haut ‑ il y en a des centaines, dans des boîtes en bois faites main ‑, et me laisse me débrouiller.
Il n'y pas de livres sur les étagères qui couvrent les murs, seulement des albums, des compacts, des cassettes et une chaîne hi‑fi; sur les cassettes il y a des étiquettes numérotées, un signe de sérieux qui ne trompe pas. Une ou deux guitares sont appuyées aux murs, et une espèce d'ordinateur qui a l'air capable de faire de la musique si vous êtes versé dans ce genre de choses.
Je monte sur une chaise et je me mets à sortir les boîtes de 45 tours. Il y en a sept ou huit en tout, j'essaie de ne pas regarder à l'intérieur en les posant par terre, mais j'aperçois le premier disque de la dernière boîte : c'est un 45 tours de James Brown pour King, de trente ans d'âge. Je me mets à trembler d'impatience.
Quand je commence à les passer en revue sérieusement, je vois très vite que c'est la mine que je rêvais de trouver un jour, depuis que j'ai commencé à collectionner les disques. Il y a les 45 tours que les Beatles enregistraient pour leur fan club, la première demi‑douzaine de 45 tours des Who, des originaux d'Elvis du début des années soixante, des tonnes de raretés de blues et de soul, et... il y a un exemplaire de God save the Queen par les Sex Pistols pour A & M 1 je n'en ai jamais vu un seul de ma vie! je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui l'avait vu! Et... non, mon Dieu, non... You le the water running d'Otis Redding, sorti sept ans après sa mort retiré de la vente immédiatement par sa veuve parce qu'elle...
« Qu'est‑ce que vous en dites ? » Elle est appuyée contre l'encadrement de la porte, les bras croisés, souriant de la tête que je suis en train de faire.
« C'est la plus belle collection que j'aie jamais vue. » je n'ai aucune idée de ce que je dois lui proposer. Le lot doit valoir au bas mot six ou sept mille livres, et elle le sait. Où est‑ce que je vais trouver une somme pareille ?
« Donnez‑moi cinquante livres et vous pouvez tout prendre tout de suite. »
Je la regarde. Nous venons d'entrer officiellement au pays des rêves, où des petites vieilles vous donnent de l'argent pour vous convaincre d'emporter les trésors de leurs greniers. Sauf que je n'ai pas affaire à une petite vieille, et qu'elle sait pertinemment que ce qu'elle a vaut plus de cinquante livres. Qu'est‑ce qui se passe ?
« Ils sont volés »
Elle rit. « Ce ne serait pas une bonne affaire, hein, de bazarder tout ça par la fenêtre pour cinquante livres ? Non, ça appartient à mon mari.
- Et vous ne vous entendez pas très bien avec lui en ce moment c'est ça ?
- Il est en Espagne avec une fille de vingt‑trois ans. Une amie de ma fille. Il a eu le culot de m'appeler pour me demander de l'argent, j'ai refusé, alors il m'a demandé de vendre sa collection de 45 tours et de lui envoyer un chèque correspondant à ce que j'aurai obtenu, moins dix pour cent de commission. A propos. Vous pourrez me donner un billet de cinq ? je veux l'encadrer et le mettre au mur.
‑ Ç'a dû lui prendre pas mal de temps pour les rassembler.
‑ Des années. Cette collection, c'est pas loin d'être l'oeuvre de sa vie.
‑ Il travaille ?
‑ Il prétend qu'il est musicien, mais... » Elle a une moue qui dit sa déception et son mépris. « Il se contente de me presser comme un citron et de rester assis sur son cul à contempler des marques de disques. »
Imaginez que vous rentrez à la maison et que vous voyez vos 45 tours d'Elvis, de James Brown et de Chuck Berry balancés pour rien, par pure vengeance. Vous feriez quoi? Vous diriez quoi ?
« Écoutez, vous ne voulez pas que je vous paye correctement? Vous n'êtes pas obligée de lui dire combien vous avez gagné. Vous pouvez lui envoyer les quarante‑cinq livres quand même, et dépenser le reste. Ou faire un don à une œuvre de charité, je sais pas.
- C'est pas l'idée. je veux être dégueulasse, mais juste.
- Je suis désolé, mais c'est trop... je ne veux pas être mêlé à ça.
‑ Comme vous voudrez. Il y en a plein d'autres qui accepteront...
Sa maison est immense, le genre de baraque qui a l'air d'avoir atterri à Wood Green après s'être envolée d'un autre quartier de Londres; quant à elle, ce n'est pas une beauté. Elle a la quarantaine bien tassée, le bronzage presque orange, le visage bizarrement peu ridé; elle porte un jean et un T‑shirt, mais le jean porte un nom italien là où devrait se trouver le nom de monsieur Wrangler ou de monsieur Levi, et le T‑shirt est incrusté d'un logo en verroterie.
Elle ne sourit pas, ne m'offre pas un café, ne me demande pas si j'ai trouvé facilement malgré la pluie battante glacée qui empêchait de voir à trois mètres. Elle me conduit seulement dans un bureau qui prolonge le hall, allume la lumière, indique les 45 tours sur l'étagère du haut ‑ il y en a des centaines, dans des boîtes en bois faites main ‑, et me laisse me débrouiller.
Il n'y pas de livres sur les étagères qui couvrent les murs, seulement des albums, des compacts, des cassettes et une chaîne hi‑fi; sur les cassettes il y a des étiquettes numérotées, un signe de sérieux qui ne trompe pas. Une ou deux guitares sont appuyées aux murs, et une espèce d'ordinateur qui a l'air capable de faire de la musique si vous êtes versé dans ce genre de choses.
Je monte sur une chaise et je me mets à sortir les boîtes de 45 tours. Il y en a sept ou huit en tout, j'essaie de ne pas regarder à l'intérieur en les posant par terre, mais j'aperçois le premier disque de la dernière boîte : c'est un 45 tours de James Brown pour King, de trente ans d'âge. Je me mets à trembler d'impatience.
Quand je commence à les passer en revue sérieusement, je vois très vite que c'est la mine que je rêvais de trouver un jour, depuis que j'ai commencé à collectionner les disques. Il y a les 45 tours que les Beatles enregistraient pour leur fan club, la première demi‑douzaine de 45 tours des Who, des originaux d'Elvis du début des années soixante, des tonnes de raretés de blues et de soul, et... il y a un exemplaire de God save the Queen par les Sex Pistols pour A & M 1 je n'en ai jamais vu un seul de ma vie! je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui l'avait vu! Et... non, mon Dieu, non... You le the water running d'Otis Redding, sorti sept ans après sa mort retiré de la vente immédiatement par sa veuve parce qu'elle...
« Qu'est‑ce que vous en dites ? » Elle est appuyée contre l'encadrement de la porte, les bras croisés, souriant de la tête que je suis en train de faire.
« C'est la plus belle collection que j'aie jamais vue. » je n'ai aucune idée de ce que je dois lui proposer. Le lot doit valoir au bas mot six ou sept mille livres, et elle le sait. Où est‑ce que je vais trouver une somme pareille ?
« Donnez‑moi cinquante livres et vous pouvez tout prendre tout de suite. »
Je la regarde. Nous venons d'entrer officiellement au pays des rêves, où des petites vieilles vous donnent de l'argent pour vous convaincre d'emporter les trésors de leurs greniers. Sauf que je n'ai pas affaire à une petite vieille, et qu'elle sait pertinemment que ce qu'elle a vaut plus de cinquante livres. Qu'est‑ce qui se passe ?
« Ils sont volés »
Elle rit. « Ce ne serait pas une bonne affaire, hein, de bazarder tout ça par la fenêtre pour cinquante livres ? Non, ça appartient à mon mari.
- Et vous ne vous entendez pas très bien avec lui en ce moment c'est ça ?
- Il est en Espagne avec une fille de vingt‑trois ans. Une amie de ma fille. Il a eu le culot de m'appeler pour me demander de l'argent, j'ai refusé, alors il m'a demandé de vendre sa collection de 45 tours et de lui envoyer un chèque correspondant à ce que j'aurai obtenu, moins dix pour cent de commission. A propos. Vous pourrez me donner un billet de cinq ? je veux l'encadrer et le mettre au mur.
‑ Ç'a dû lui prendre pas mal de temps pour les rassembler.
‑ Des années. Cette collection, c'est pas loin d'être l'oeuvre de sa vie.
‑ Il travaille ?
‑ Il prétend qu'il est musicien, mais... » Elle a une moue qui dit sa déception et son mépris. « Il se contente de me presser comme un citron et de rester assis sur son cul à contempler des marques de disques. »
Imaginez que vous rentrez à la maison et que vous voyez vos 45 tours d'Elvis, de James Brown et de Chuck Berry balancés pour rien, par pure vengeance. Vous feriez quoi? Vous diriez quoi ?
« Écoutez, vous ne voulez pas que je vous paye correctement? Vous n'êtes pas obligée de lui dire combien vous avez gagné. Vous pouvez lui envoyer les quarante‑cinq livres quand même, et dépenser le reste. Ou faire un don à une œuvre de charité, je sais pas.
- C'est pas l'idée. je veux être dégueulasse, mais juste.
- Je suis désolé, mais c'est trop... je ne veux pas être mêlé à ça.
‑ Comme vous voudrez. Il y en a plein d'autres qui accepteront...