Diwo Jean -Moi, Milanollo, fils de Stradivarius (p.16-17)
... Bach prit l’archet qui se
trouvait près d’un monumental pupitre de noyer sculpté aux armes du duché
d’Anhalt-Kothen et le promena sur mes cordes offertes à toutes les combinaisons
de son qu’un musicien pouvait imaginer pour m’accorder. Jusque-là, seuls mon
père et son fils Omobono ayant testé ma sonorité, je craignais ce premier
contact avec la musique qui serait désormais ma raison d’exister. La
délicatesse dont fit preuve M. Bach, la douceur de sa paume soutenant mon
manche d’érable et le toucher de son archet me parurent de bon augure, encore
que les minutes de l’accordage ne soient guère agréables pour un violon. Mais
passé ce mauvais moment, je connus un intense bien-être dès les premières
mesures du chant que semblait inventer pour moi M. Bach. Un violon ne s’entend
pas jouer mais les vibrations brûlantes qui le traversent lui procurent une
sensation que vous, les hommes, ne connaîtrez jamais. Cette fois, elle fut
exaltante.
M. Bach improvisa durant quelques minutes une allègre musique avant de me reposer sur la grande table du salon dont l’acajou ciré épousait à merveille le rouge orangé de ma robe.
Le prince, qui avait l’harmonie dans l’âme, remarqua cet heureux mariage et me couvrit alors d’éloges, insistant sur la perfection de mes hanches, la grâce de ma volute, qu’il assimila à un chignon, et les stries régulières de mes éclisses. Il me fit encore bien d’autres compliments puis s’adressa à son maître de chapelle :
-Êtes-vous heureux, monsieur Bach, d’ajouter cette merveille aux instruments de votre musique ? J’ai hâte, pour ma part, de vous entendre ce soir interpréter votre dernière composition.
Bach hocha la tête et, au risque de désappointer son maître, dit qu‘il préférait attendre le lendemain, même peut-être quelques jours, avant d’étrenner devant lui le Coucher de soleil de M. Stradivari. Comme le prince s’étonnait de ce contretemps, il expliqua :
-Ce Stradivarius, appelons-le comme cela puisque le grand luthier a latinisé son mon sur les étiquettes, n’est pas un violon comme les autres. Il a tellement de personnalité, tellement de force que celui qui le joue a besoin d’un certain temps pour se soumettre à lui, s’habituer à la plénitude et à la portée du son, à sa rondeur, à sa puissance. Je demande à Votre Seigneurie de bien vouloir patienter afin qu’elle juge pleinement des qualités de son extraordinaire instrument. Après, je composerai si vous le bien, une partita pour violon et viole de gambe que nous jouerons ensemble.
M. Bach improvisa durant quelques minutes une allègre musique avant de me reposer sur la grande table du salon dont l’acajou ciré épousait à merveille le rouge orangé de ma robe.
Le prince, qui avait l’harmonie dans l’âme, remarqua cet heureux mariage et me couvrit alors d’éloges, insistant sur la perfection de mes hanches, la grâce de ma volute, qu’il assimila à un chignon, et les stries régulières de mes éclisses. Il me fit encore bien d’autres compliments puis s’adressa à son maître de chapelle :
-Êtes-vous heureux, monsieur Bach, d’ajouter cette merveille aux instruments de votre musique ? J’ai hâte, pour ma part, de vous entendre ce soir interpréter votre dernière composition.
Bach hocha la tête et, au risque de désappointer son maître, dit qu‘il préférait attendre le lendemain, même peut-être quelques jours, avant d’étrenner devant lui le Coucher de soleil de M. Stradivari. Comme le prince s’étonnait de ce contretemps, il expliqua :
-Ce Stradivarius, appelons-le comme cela puisque le grand luthier a latinisé son mon sur les étiquettes, n’est pas un violon comme les autres. Il a tellement de personnalité, tellement de force que celui qui le joue a besoin d’un certain temps pour se soumettre à lui, s’habituer à la plénitude et à la portée du son, à sa rondeur, à sa puissance. Je demande à Votre Seigneurie de bien vouloir patienter afin qu’elle juge pleinement des qualités de son extraordinaire instrument. Après, je composerai si vous le bien, une partita pour violon et viole de gambe que nous jouerons ensemble.