Aboudrar Bruno Nassim
ICI-BAS (p.125-126)
... " Allons!" Zsuzsi se remit au piano, alluma la lumière au-dessus du lutrin, éclairant le clavier et la partition, et recommença à jouer le Nocturne en sol mineur, assez décidée, cette fois, à en sortir une totalité cohérente. Elle jouait sans doute depuis un certain temps, et s'étaient bien remis dans les doigts les dissonance qui constituent la principale péripétie du morceau quand la porte, trop discrètement ouverte, l'interrompit en grinçant :
" Ma chérie, comme vous jouez cela!"
De grandes mains osseuses qui s'agitaient, comme sous la bise, les branchages d'un orme, deux yeux d'un vert laiteux, où l'enthousiasme mettait une lueur d'opale, le nez d'un brise-glace, si long et si mince qu'il séparait inéluctablement le visage, sans qu'il fût possible à l'observateur d'en ajointer exactement les deux parties, et le flot de sa chevelure qu'elle laissait s'écouler, par sa droite, le long de sa poitrine, Eva, se dit Zsuzsi, avait vraiment de l'allure.
" Comme vous sentez cela ! Vous y mettez une âme! Et une délicatesse! J'en suis...brr... Ça fait un moment que nous vous écoutons, votre père et moi, dans la salle à manger. Il est parti. Vos parents dînent dehors, je crois."
Traversant la pièce à grands pas, elle alla s'asseoir sur le sofa, avec un naturel qui surprit Zsuzsi sans lui laisser le temps de comprendre si une telle familiarité l'agaçait ou la flattait.
"Ne vous arrêtez pas! Au contraire, s'il vous plait, rejouez cela pour moi."
Elle reprit donc le Nocturne, un peu distraite, un peu triste. Eva était entrée sur le motif musical du cafard de Zsuzsi, qui en tirait toutes les saveurs que peut offrir, dans une ville de province, une fin d'après midi pluvieuse à une jeune femme esseulée; et voilà qu'elle s'asseyait sur son sofa, à la place de son frère, au moment même où elle, Zsuzsi, en déplorait l'absence avec des suavités moroses ignorées jusqu'alors. Et puis, ce n'était pas la première fois qu'elle jouait en présence d'Eva -- elle en recueillait d'habitude des compliments hyperboliques qui faisaient mieux que la flatter, la touchaient, car elle en percevait la sincérité cachée sous une parure maladroite à force d'affectation d'adresse et d'élégance -- mais bien la première fois qu'elle jouait pour Eva, seule...
" Ma chérie, comme vous jouez cela!"
De grandes mains osseuses qui s'agitaient, comme sous la bise, les branchages d'un orme, deux yeux d'un vert laiteux, où l'enthousiasme mettait une lueur d'opale, le nez d'un brise-glace, si long et si mince qu'il séparait inéluctablement le visage, sans qu'il fût possible à l'observateur d'en ajointer exactement les deux parties, et le flot de sa chevelure qu'elle laissait s'écouler, par sa droite, le long de sa poitrine, Eva, se dit Zsuzsi, avait vraiment de l'allure.
" Comme vous sentez cela ! Vous y mettez une âme! Et une délicatesse! J'en suis...brr... Ça fait un moment que nous vous écoutons, votre père et moi, dans la salle à manger. Il est parti. Vos parents dînent dehors, je crois."
Traversant la pièce à grands pas, elle alla s'asseoir sur le sofa, avec un naturel qui surprit Zsuzsi sans lui laisser le temps de comprendre si une telle familiarité l'agaçait ou la flattait.
"Ne vous arrêtez pas! Au contraire, s'il vous plait, rejouez cela pour moi."
Elle reprit donc le Nocturne, un peu distraite, un peu triste. Eva était entrée sur le motif musical du cafard de Zsuzsi, qui en tirait toutes les saveurs que peut offrir, dans une ville de province, une fin d'après midi pluvieuse à une jeune femme esseulée; et voilà qu'elle s'asseyait sur son sofa, à la place de son frère, au moment même où elle, Zsuzsi, en déplorait l'absence avec des suavités moroses ignorées jusqu'alors. Et puis, ce n'était pas la première fois qu'elle jouait en présence d'Eva -- elle en recueillait d'habitude des compliments hyperboliques qui faisaient mieux que la flatter, la touchaient, car elle en percevait la sincérité cachée sous une parure maladroite à force d'affectation d'adresse et d'élégance -- mais bien la première fois qu'elle jouait pour Eva, seule...