BOUKHOBZA Chochana - Le troisième Jour (p.185-186)
… Soudain Katia arrête une fille
qui fait le service.
- Mon amie, Elisheva
Amos soupire, impatienté par cette gêneuse. Il lève un regard absent vers une silhouette sans grâce qui porte une chemise bleue qui lui bat les flancs, une jupe fanée, des sandales usées. Ses jambes sont grêles, ses genoux saillants, ses hanches plates comme un garçon. Elle a vingt ans, elle ressemble à une nonne et pourtant, son visage qu’il aperçoit dans un brouillard, son visage mangé par des yeux ardents est de ceux qu’on n’oublie pas. Il sent la force de cette femme, son énergie étrange, spectaculaire, mélange de violence, d’intelligence et d’ironie.
- Tu as entendu sa guitare ?
C’était donc elle, cet instrument solitaire dont le chant montait à contre-courant des autres et pourtant comme à l’unisson ?
Il trouve une formule de politesse.
- Tu joues bien
La jeune fille, amusée, hausse un sourcil.
A l’époque, il ne savait pas ce que c’était, la musique. Il avait grandi sans, ou plutôt non, il avait grandi dans les chants de synagogue que son père et son grand-père fredonnaient, à l’italienne, avec des trémolos, des envolées de voix. Il connaissait aussi quelques airs anglais. C’était tout ce qu’il savait de la musique. Quand aurait-il eu le temps d’apprendre ? La guerre occupait ses jours, tout le champ de sa conscience. Il avait vingt-quatre ans ; il s’était engagé à dix-sept dans les troupes du Palmach. En sept ans, il n’avait connu que les escarmouches, les embuscades, les veilles. Il y avait bien l’ébéniste au fond de la cour, quand il était enfant, ça lui revenait tout à coup, qui travaillait des mélodies sur son violon, mais il aurait été bien en peine de parler de son répertoire, le violon jouait pendant des heures une cascade de notes comme si l’homme était possédé par un dibbouk. Plus tard, bien plus tard, Elisheva lui expliquera que l’ébéniste que l’on croyait meshuga interprétait Mozart, Liszt, et surtout Paganini. Elle lui avait fait écouter des enregistrements et il avait découvert, sidéré, qu’il en avait gravé des fragments entiers dans sa mémoire…
- Mon amie, Elisheva
Amos soupire, impatienté par cette gêneuse. Il lève un regard absent vers une silhouette sans grâce qui porte une chemise bleue qui lui bat les flancs, une jupe fanée, des sandales usées. Ses jambes sont grêles, ses genoux saillants, ses hanches plates comme un garçon. Elle a vingt ans, elle ressemble à une nonne et pourtant, son visage qu’il aperçoit dans un brouillard, son visage mangé par des yeux ardents est de ceux qu’on n’oublie pas. Il sent la force de cette femme, son énergie étrange, spectaculaire, mélange de violence, d’intelligence et d’ironie.
- Tu as entendu sa guitare ?
C’était donc elle, cet instrument solitaire dont le chant montait à contre-courant des autres et pourtant comme à l’unisson ?
Il trouve une formule de politesse.
- Tu joues bien
La jeune fille, amusée, hausse un sourcil.
A l’époque, il ne savait pas ce que c’était, la musique. Il avait grandi sans, ou plutôt non, il avait grandi dans les chants de synagogue que son père et son grand-père fredonnaient, à l’italienne, avec des trémolos, des envolées de voix. Il connaissait aussi quelques airs anglais. C’était tout ce qu’il savait de la musique. Quand aurait-il eu le temps d’apprendre ? La guerre occupait ses jours, tout le champ de sa conscience. Il avait vingt-quatre ans ; il s’était engagé à dix-sept dans les troupes du Palmach. En sept ans, il n’avait connu que les escarmouches, les embuscades, les veilles. Il y avait bien l’ébéniste au fond de la cour, quand il était enfant, ça lui revenait tout à coup, qui travaillait des mélodies sur son violon, mais il aurait été bien en peine de parler de son répertoire, le violon jouait pendant des heures une cascade de notes comme si l’homme était possédé par un dibbouk. Plus tard, bien plus tard, Elisheva lui expliquera que l’ébéniste que l’on croyait meshuga interprétait Mozart, Liszt, et surtout Paganini. Elle lui avait fait écouter des enregistrements et il avait découvert, sidéré, qu’il en avait gravé des fragments entiers dans sa mémoire…