MALTE Marcus - Les harmoniques (p. 185-186)
... Dans le salon, près de son fauteuil, il y avait un minuscule guéridon dont le pied était en fer forgé et plateau en faïence de Vallauris. Des carreaux à motifs de poissons? Il posa son bol dessus puis se planta devant les étagères de sa bibliothèque et fouilla du regard dans les rayons. Pas de classement alphabétique, aucun ordre apparent, aucune méthode de rangement déchiffrable par un autre que lui. Il savait ce qu'il avait envie d'entendre et il savait où le trouver. Il hésitait juste entre deux versions. Il finit par se décider, se hissa sur la pointe des pieds pour saisir le disque choisi, l'introduisit dans le lecteur et appuya sur la touche "repeat". Lorsqu'il aimait, il pouvait écouter vingt fois à la suite le même morceau sans se lasser.
Le cuir du fauteuil était façonné à l'empreinte de son fessier. Il s'y cala. Dès la première mesure, sa gorge se serra.
Everytime We Say Goodbye.
Standard entre les standards. Cole Porter indétrônable. Au bout de soixante années, sa composition n'avait rien perdu de sa force. Beaucoup ne peuvent pas en dire autant. Ce n'était pas faute d'avoir été mangé à toutes les sauces et régurgitée dans toutes les langues de la planète. Au fil du temps un bon milliard d'interprètes avaient dû s'y frotter, professionnels ou amateurs, du crooner au chanteur de variétés, de l'ancienne gloire à la nouvelle star, de la fanfare au trio, quartet, quintet, sextet, sans compter les essais inconséquents à la flûte à bec, la flûte traversière, la mandoline et le tuba, la guimbarde et le pipeau, on l'avait bramée a capella, on l'avait susurrée au micro, tant de fois tant de gens avaient dit au revoir en public ou en privé, sur une scène, sur une plage, sur un quai, sur une place de village, dans une salle de bar, dans un hall d'hôtel, dans un cimetière, pour un départ en vacances, pour un départ en retraite, pour un ultime hommage à la centenaire qui nous a quittés, pour un oui ou pour un non, tant de raisons, tant de façons de dire au revoir, gageons qu'il existe quelque part un enregistrement en langage des signes pour les sourds et les malentendants.
La chanson aurait dû être laminée depuis longtemps. De guerre lasse, elle aurait dû disparaître du répertoire, s'effacer de nos mémoires comme s'effacent sur l'asphalte jusqu'à leurs dernières traces les chiens écrasés.
Ceux qui l'avaient sauvée s'appelaient John Coltrane et Nina Simone...
Le cuir du fauteuil était façonné à l'empreinte de son fessier. Il s'y cala. Dès la première mesure, sa gorge se serra.
Everytime We Say Goodbye.
Standard entre les standards. Cole Porter indétrônable. Au bout de soixante années, sa composition n'avait rien perdu de sa force. Beaucoup ne peuvent pas en dire autant. Ce n'était pas faute d'avoir été mangé à toutes les sauces et régurgitée dans toutes les langues de la planète. Au fil du temps un bon milliard d'interprètes avaient dû s'y frotter, professionnels ou amateurs, du crooner au chanteur de variétés, de l'ancienne gloire à la nouvelle star, de la fanfare au trio, quartet, quintet, sextet, sans compter les essais inconséquents à la flûte à bec, la flûte traversière, la mandoline et le tuba, la guimbarde et le pipeau, on l'avait bramée a capella, on l'avait susurrée au micro, tant de fois tant de gens avaient dit au revoir en public ou en privé, sur une scène, sur une plage, sur un quai, sur une place de village, dans une salle de bar, dans un hall d'hôtel, dans un cimetière, pour un départ en vacances, pour un départ en retraite, pour un ultime hommage à la centenaire qui nous a quittés, pour un oui ou pour un non, tant de raisons, tant de façons de dire au revoir, gageons qu'il existe quelque part un enregistrement en langage des signes pour les sourds et les malentendants.
La chanson aurait dû être laminée depuis longtemps. De guerre lasse, elle aurait dû disparaître du répertoire, s'effacer de nos mémoires comme s'effacent sur l'asphalte jusqu'à leurs dernières traces les chiens écrasés.
Ceux qui l'avaient sauvée s'appelaient John Coltrane et Nina Simone...