VEINSTEIN Alain - La partition (p. 209-210)
... Tôt ce matin, peut-être par communion de pensée, Samuel s'est installé au piano dans la "salle de musique". Après avoir fermé volets et fenêtre pour s'assurer que personne ne pourrait l'entendre, il commence par épousseter le piano et nettoyer les touches, comme le cavalier, avant de le monter, brosse son cheval. Ce n'est décidément pas un Steinway de concert, loin s'en faut, mais un vieux piano acheté chez un brocanteur, aujourd'hui désaccordé. Bien entendu, il n'y avait pas d'accordeurs dans les parages, ce qui l'avait mis en rage au début, avant qu'il en prit son parti, comme de toutes choses.
Il exécute d'étranges ballets avec ses doigts, en les entrelaçant, puis d'autres séries de gestes aux mouvements plus longs et compliqués qu'il recommence des dizaines de fois, comme si ce n'était jamais assez. Il ne fait que tâtonner, improviser, et le tâtonnement de l'improvisation provoque un déluge de petites notes sur les touches noires et les touches blanches.
Ses deux mains, à présent, jonglent sur le clavier. Se croyant évidemment sans témoins, il parodie l'exhibitionnisme de certains pianistes qui dépensent leur énergie en gestes théâtraux, avec des envolées lyriques, grandiloquentes, forcent l'allure, s'escriment à chercher des effets sur leur instrument. Il a, lui toujours haï les jeux emphatiques, chichiteux, une musique qui souligne, insiste, appuie... préférant s'exprimer avec les mots de tous les jours. En jouant, j'ai tout le loisir de le vérifier, il ne s'impose pas, ne paye pas de mine. Il ne fait, au fond, qu'accueillir des sons, disparaître dans la musique. Il joue enfin pour lui seul, sans chercher à séduire des parterres, à mendier une reconnaissance. Il joue à l'aveugle, laisse errer ses doigts sur le clavier, le visage au ras des touches. Il y a longtemps qu'il a oublié le piano...
Il exécute d'étranges ballets avec ses doigts, en les entrelaçant, puis d'autres séries de gestes aux mouvements plus longs et compliqués qu'il recommence des dizaines de fois, comme si ce n'était jamais assez. Il ne fait que tâtonner, improviser, et le tâtonnement de l'improvisation provoque un déluge de petites notes sur les touches noires et les touches blanches.
Ses deux mains, à présent, jonglent sur le clavier. Se croyant évidemment sans témoins, il parodie l'exhibitionnisme de certains pianistes qui dépensent leur énergie en gestes théâtraux, avec des envolées lyriques, grandiloquentes, forcent l'allure, s'escriment à chercher des effets sur leur instrument. Il a, lui toujours haï les jeux emphatiques, chichiteux, une musique qui souligne, insiste, appuie... préférant s'exprimer avec les mots de tous les jours. En jouant, j'ai tout le loisir de le vérifier, il ne s'impose pas, ne paye pas de mine. Il ne fait, au fond, qu'accueillir des sons, disparaître dans la musique. Il joue enfin pour lui seul, sans chercher à séduire des parterres, à mendier une reconnaissance. Il joue à l'aveugle, laisse errer ses doigts sur le clavier, le visage au ras des touches. Il y a longtemps qu'il a oublié le piano...