VACHER Jeanne-Martine- Silence (p.184-185)
... Ils passèrent encore deux bonnes heures à ouvrir les enveloppes en silence : témoignages d'émotions liées à la musique, scellant autant de rencontres, d'évènements familiaux, d'évènements historiques, évocations de concerts que le souvenir gardait comme un moment d'exception, un accès direct à la perfection, à la transcendance. Ces mémoires musicales disaient tout autant la souffrance que des bonheurs fous. On avait à les lire l'impression vertigineuse de voir des vies entières se construire ou se défaire au fil d'une mélodie, dans le grain d'une voix, dans la couleur sombre d'un jeu de piano, dans un staccato de violon. Chacun de ces témoignages affirmait à sa façon cette vérité qui semblait première : la musique savait mieux que nous-mêmes dire nos douleurs originelles, nos imprévisibles tempêtes, nos amours endormies. La musique, en tant que telle, n'exprimait aucune émotion, mais elle pouvait toutes les engendrer. A certaines lettres, parfois, l'on avait joint des morceaux de musique aimés, dont on avait pris soin de recopier la partition, ou même de petites maquettes d'instruments, assemblées avec soin et amour, ou encore de nombreuses photos d'artistes, parfois très anciennes. Lynn attrapa enfin la deuxième enveloppe qui lui restait à déchiffrer : c'était une suite de dessins griffonnés à gros traits noirs, qu'elle ne put tout d'abord identifier. Elle tourna le papier dans tous les sens puis aperçut, au fond de l'enveloppe, une autre feuille sur laquelle étaient écrites, en tout petits caractères, au crayon à papier, quelques lignes difficilement lisibles.
Voilà ce que je possède de plus précieux : les dessins que mon arrière grand-père fit durant la guerre de 14-18. Ils représentent ses camarades, les soldats avec qui il passa des semaines si dures dans les tranchées. Les uns et les autres seraient devenus presque fous, s'il n'y avait eu quelques moments d'évasions sonores. En première ligne, toute musique était interdite, mais, lorsqu'ils retournaient à l'arrière, certains qui avaient pu faire venir leurs instruments jouaient pour leurs compagnons. Sur es dessins de mon arrière grand-père, vous apercevrez des violons des cornemuses, des tambourins, quelques petits instruments à vent. D'autres soldats moins chanceux, qui ne possédaient rien, en construisaient avec des matériaux ou des objets de fortune, s'emparant de tout ce qui leur tombait sous la main : casques, manches à balai, bidons, boites à cigares. Imaginez toutes ces heures de labeur minutieux, d'invention, d'ingéniosité nécessaire pour ajuster ces objets afin qu'ils finissent par ressembler à un véritable instrument, capable de produire des accords, des mélodies qui sonneraient comme une respiration au milieu de l'horreur! Comment dire, mieux que ça, combien, même au cœur de l'enfer, la musique nous aide à vivre? N'est-elle pas la vie même?..
Voilà ce que je possède de plus précieux : les dessins que mon arrière grand-père fit durant la guerre de 14-18. Ils représentent ses camarades, les soldats avec qui il passa des semaines si dures dans les tranchées. Les uns et les autres seraient devenus presque fous, s'il n'y avait eu quelques moments d'évasions sonores. En première ligne, toute musique était interdite, mais, lorsqu'ils retournaient à l'arrière, certains qui avaient pu faire venir leurs instruments jouaient pour leurs compagnons. Sur es dessins de mon arrière grand-père, vous apercevrez des violons des cornemuses, des tambourins, quelques petits instruments à vent. D'autres soldats moins chanceux, qui ne possédaient rien, en construisaient avec des matériaux ou des objets de fortune, s'emparant de tout ce qui leur tombait sous la main : casques, manches à balai, bidons, boites à cigares. Imaginez toutes ces heures de labeur minutieux, d'invention, d'ingéniosité nécessaire pour ajuster ces objets afin qu'ils finissent par ressembler à un véritable instrument, capable de produire des accords, des mélodies qui sonneraient comme une respiration au milieu de l'horreur! Comment dire, mieux que ça, combien, même au cœur de l'enfer, la musique nous aide à vivre? N'est-elle pas la vie même?..