MOSLEY Walter - La musique du diable (p.158-159)
...J’ suis tombé sur RL
à Arcola, Mississippi, en pleine saison de la récolte. Il me dit de venir le
rejoindre plus tard, mais quand j'arrive il est déjà au boulot avec sa guitare.
Il joue un truc totalement nouveau pour moi, comme si j'avais encore jamais
entendu le blues. Les paroles étaient de lui, et c'était quèchose, mais au début
j'y fais pas gaffe. Ce qui m'a rendu baba, c'est sa voix de sauvage, et comme
il rejetait sa tête en arrière, on aurait dit que quelque chose allait se
casser en lui s'il ne le faisait pas sortir avec son chant. On aurait dit un
pasteur baptiste complètement chamboulé par sa prière. Quoique, les gens
religieux, ils auraient pas voulu toucher avec des pincettes à c'vieux RL et à
sa musique de diable...
Soupspoon se tourna vers Kiki et lui lança un clin d’œil. Elle était rentrée avec une boîte de poulet frit, un pack de six bières et une bouteille de jack Daniel's. Elle avait posé ce festin sur la table et s'était assise, tout oreilles.
C'était un maigre, poursuivit Soupspoon, avec un œil bon et l'autre fichu qui se baladait dans l'orbite. On disait qu'avec cet oeil cadavre il pouvait voir beaucoup plus que nous tous, voir en enfer, et c'est d'là que vient le blues, tout le monde sait ça. Ses mains étaient comme des araignées affamées qui couraient sur les cordes. Y en avait pas deux qui pouvaient jouer comme RL, autrement dit Bob LeRoy, autrement dit Robert Johnson. C'était un péquenot de nègre trop paresseux pour cueillir le coton. Couturé de partout, fuyant sans cesse quéchose, et plutôt petit avec ça. Il aimait sa maman, et pratiquement toutes les femmes qu'il croisait... Mais bon, comme j'disais, y s'faisait tard, mais y avait pas grand monde avec nous, vu que c'était le temps de la cueillette dans le Mississippi, tous les gens de couleur étaient au travail, à part moi, et RL, et disons six ou sept tire‑au‑flanc dans notre genre... je m'rappelle quatre garçons avec‑des cheveux à l'afro, un vieux type qu'on appelait Papa-Langouste, et deux petites femmes, là. Elles, c'était Linda Powell et Booby Redman. Les gars étaient tous en train de battre du pied et de faire oui de la tête à ce que racontait RL. Et c'vieux Papa‑Langouste qui roulait des épaules comme s'il avait retrouvé jeunesse, prêt à s'lancer sur la piste de danse,ou à balancer son putain de couteau texan... Ce jour‑là, ça sentait l'ouragan, faisait à la fois moite et frais, avec un vent venu du Golfe, et les moqueurs, y viraient de cap dans le ciel à chaque note de musique... D'abord, RL a joué Love in Vain, mais c'est quand il a chanté Me and the Devil que Booby est restée baba. Elle avait une robe de coton et un foulard rouge vif autour de la tête. Un beau brin d'fille, avec des nénés fermes et des jambes solides, mais quand elle a entendu RL, la mâchoire et les bras lui en sont tombés. Et au moment où RL nous a annoncé que son âme de pêcheur voulait attraper le bus qui devait partir, j'ai bien cru que Booby allait s'écrouler sur place, en larmes... Parce que ce gars‑là, rien qu'en jouant, il était capable de faire se désaper une femme.
Soupspoon se tourna vers Kiki et lui lança un clin d’œil. Elle était rentrée avec une boîte de poulet frit, un pack de six bières et une bouteille de jack Daniel's. Elle avait posé ce festin sur la table et s'était assise, tout oreilles.
C'était un maigre, poursuivit Soupspoon, avec un œil bon et l'autre fichu qui se baladait dans l'orbite. On disait qu'avec cet oeil cadavre il pouvait voir beaucoup plus que nous tous, voir en enfer, et c'est d'là que vient le blues, tout le monde sait ça. Ses mains étaient comme des araignées affamées qui couraient sur les cordes. Y en avait pas deux qui pouvaient jouer comme RL, autrement dit Bob LeRoy, autrement dit Robert Johnson. C'était un péquenot de nègre trop paresseux pour cueillir le coton. Couturé de partout, fuyant sans cesse quéchose, et plutôt petit avec ça. Il aimait sa maman, et pratiquement toutes les femmes qu'il croisait... Mais bon, comme j'disais, y s'faisait tard, mais y avait pas grand monde avec nous, vu que c'était le temps de la cueillette dans le Mississippi, tous les gens de couleur étaient au travail, à part moi, et RL, et disons six ou sept tire‑au‑flanc dans notre genre... je m'rappelle quatre garçons avec‑des cheveux à l'afro, un vieux type qu'on appelait Papa-Langouste, et deux petites femmes, là. Elles, c'était Linda Powell et Booby Redman. Les gars étaient tous en train de battre du pied et de faire oui de la tête à ce que racontait RL. Et c'vieux Papa‑Langouste qui roulait des épaules comme s'il avait retrouvé jeunesse, prêt à s'lancer sur la piste de danse,ou à balancer son putain de couteau texan... Ce jour‑là, ça sentait l'ouragan, faisait à la fois moite et frais, avec un vent venu du Golfe, et les moqueurs, y viraient de cap dans le ciel à chaque note de musique... D'abord, RL a joué Love in Vain, mais c'est quand il a chanté Me and the Devil que Booby est restée baba. Elle avait une robe de coton et un foulard rouge vif autour de la tête. Un beau brin d'fille, avec des nénés fermes et des jambes solides, mais quand elle a entendu RL, la mâchoire et les bras lui en sont tombés. Et au moment où RL nous a annoncé que son âme de pêcheur voulait attraper le bus qui devait partir, j'ai bien cru que Booby allait s'écrouler sur place, en larmes... Parce que ce gars‑là, rien qu'en jouant, il était capable de faire se désaper une femme.