HOFFMAN - La leçon de violon (p.81-83)
J'étais à Berlin, très jeune, j'avais seize ans, et je me
livrais à l'étude de mon art, du fond de l'âme, avec tout l'enthousiasme que la
nature m'a départi. Le maître de chapelle Haak, mon digne et très rigoureux
maître, se montrait de plus en plus satisfait de moi. Il vantait la netteté de
mon coup d'archet, la pureté de mes intonations ; et bientôt il m'admit à jouer
du violon à l'orchestre de l'Opéra et dans les concerts de la chambre du roi.
Là j'entendais souvent Haak s'entretenir avec Duport', Ritter et d'autres
grands meures, des soirées musicales que donnait le baron de B***, et qu'il
arrangeait avec tant d'aptitude et de goût que le roi ne dédaignait pas de
venir quelquefois y prendre part. Ils citaient sans cesse les magnifiques
compositions de vieux maîtres presque oubliés qu'on n'entendait que chez le
baron, ‑ qui possédait la plus rare collection de morceaux de musique anciens
et nouveaux ; ‑ et s'étendaient avec complaisance sur l'hospitalité splendide
qui régnait dans la maison du baron, sur la libéralité presque incroyable avec
laquelle il traitait les artistes. Ils finissaient toujours par convenir d'un
commun accord qu'on pouvait le nommer avec raison l'astre qui éclairait le
monde musical du Nord.
Tous ces discours éveillaient ma curiosité; elle s'augmentait encore bien davantage lorsqu'au milieu de leur entretien les maîtres se rapprochaient l'un de l'autre, et que, dans le bourdonnement mystérieux qui s'élevait entre eux, je distinguais le nom du baron, et que, par quelques mots qui m'arrivaient à la dérobée, je devinais qu'il était question d'études et de leçons musicales. Dans ces moments là, je croyais surtout apercevoir un sourire caustique errer sur les lèvres de Duport; et mon maître était surtout l'objet de toutes les plaisanteries dont il se défendait faiblement jusqu'au moment où, appuyant son violon sur son genou pour le mettre d'accord, il s'écriait en souriant : ‑ Après tout, c'est un charmant homme !
Je n'y tins plus. Au risque de me faire éconduire un peu rudement, je priai le maître de chapelle de me présenter au baron, et de m'emmener lorsqu'il allait à ses concerts. Haak me toisa avec de grands yeux. Je voyais déjà l'orage gronder dans ses regards ; mais tout à coup sa gravité fit place à un singulier sourire. ‑ Bon ! dit-il. Peut-être as‑tu raison. Il y a de bonnes choses à apprendre du baron. Je lui parlerai de toi, et je pense qu'il consentira à te recevoir; car il aime assez à recevoir les jeunes artistes. Quelques jours après, je venais de jouer avec Haak quelques concertos très difficiles ; il me prit mon violon des mains, et me dit : ‑ Allons, Carl ! c'est ce soir qu'il faut mettre ton habit des dimanches et des bas de soie. Viens me trouver : nous irons ensemble chez le baron. Il s'y trouvera peu de monde, et c'est une bonne occasion pour te présenter. Le cœur me battait de joie ; car j'espérais, sans trop savoir pourquoi, apprendre là quelque chose d'inouï d'extraordinaire Nous allâmes. Le baron, un homme de moyenne taille, passablement vieux, en habit à la française brodé de toutes couleurs, vint à nous dès que nous entrâmes dans le salon, et secoua cordialement la main de mon maître. Jamais je n'avais ressenti autant de respect véritable, éprouvé une impression plus favorable à la vue d'un homme de distinction. On lisait dans les traits du baron une pleine expression de bonhomie et de bonté tandis que dans ses yeux brillait ce feu sombre qui trahi toujours l'artiste pénétré de son art. Toute ma timidité de jeune homme disparut en un instant. ‑ Comment vous va, mon bon Haak ? avez‑vous bien travaillé moi concerto ? dit le baron d'une belle voix sonore. ‑ Eh bien ! nous verrons demain ! ‑ Ah ! voilà sans doute le jeune homme, le brave petit virtuose dont vous m'avez parlé ?
Tous ces discours éveillaient ma curiosité; elle s'augmentait encore bien davantage lorsqu'au milieu de leur entretien les maîtres se rapprochaient l'un de l'autre, et que, dans le bourdonnement mystérieux qui s'élevait entre eux, je distinguais le nom du baron, et que, par quelques mots qui m'arrivaient à la dérobée, je devinais qu'il était question d'études et de leçons musicales. Dans ces moments là, je croyais surtout apercevoir un sourire caustique errer sur les lèvres de Duport; et mon maître était surtout l'objet de toutes les plaisanteries dont il se défendait faiblement jusqu'au moment où, appuyant son violon sur son genou pour le mettre d'accord, il s'écriait en souriant : ‑ Après tout, c'est un charmant homme !
Je n'y tins plus. Au risque de me faire éconduire un peu rudement, je priai le maître de chapelle de me présenter au baron, et de m'emmener lorsqu'il allait à ses concerts. Haak me toisa avec de grands yeux. Je voyais déjà l'orage gronder dans ses regards ; mais tout à coup sa gravité fit place à un singulier sourire. ‑ Bon ! dit-il. Peut-être as‑tu raison. Il y a de bonnes choses à apprendre du baron. Je lui parlerai de toi, et je pense qu'il consentira à te recevoir; car il aime assez à recevoir les jeunes artistes. Quelques jours après, je venais de jouer avec Haak quelques concertos très difficiles ; il me prit mon violon des mains, et me dit : ‑ Allons, Carl ! c'est ce soir qu'il faut mettre ton habit des dimanches et des bas de soie. Viens me trouver : nous irons ensemble chez le baron. Il s'y trouvera peu de monde, et c'est une bonne occasion pour te présenter. Le cœur me battait de joie ; car j'espérais, sans trop savoir pourquoi, apprendre là quelque chose d'inouï d'extraordinaire Nous allâmes. Le baron, un homme de moyenne taille, passablement vieux, en habit à la française brodé de toutes couleurs, vint à nous dès que nous entrâmes dans le salon, et secoua cordialement la main de mon maître. Jamais je n'avais ressenti autant de respect véritable, éprouvé une impression plus favorable à la vue d'un homme de distinction. On lisait dans les traits du baron une pleine expression de bonhomie et de bonté tandis que dans ses yeux brillait ce feu sombre qui trahi toujours l'artiste pénétré de son art. Toute ma timidité de jeune homme disparut en un instant. ‑ Comment vous va, mon bon Haak ? avez‑vous bien travaillé moi concerto ? dit le baron d'une belle voix sonore. ‑ Eh bien ! nous verrons demain ! ‑ Ah ! voilà sans doute le jeune homme, le brave petit virtuose dont vous m'avez parlé ?