de ROSNAY Tatiana - L'appartement témoin (p.43-44)
... Un visage de femme, ovale parfait, deux sourcils en accents circonflexes - mais je n'aperçois de ses yeux toujours baissés vers le clavier, que la nacre bombée de ses paupières. Elle possède peut-être le même regard vert que sa fille; il ne peut s'agir que d'elle : mêmes sourcils, même chevelure blonde ponctuée d'un épi en forme de virgule, haut sur le front.
Les deux visages me hantaient, m'obsédaient; l'un pour sa beauté pure et froide, l'autre pour son regard direct, un regard de femme dans une figure d'enfant; qu'en aurait dit mon psychanalyste?
Je revois sans cesse la scène, la grande pièce illuminée par le soleil, le piano à queue noir, la partition ouverte, la petite fille assise sur le tapis; et je pense souvent à cette musique assourdie qu'elle reprend avec une sorte de frénésie désespérée, comme si sa vie en dépendait.
Elle ouvre la bouche comme pour chanter, mais je ne parviens pas à entendre sa voix, même si je me trouve près d'elle. La particularité de la vision réside dans le fait que je perçois mal le piano, il "tinte", il ne "joue" pas. Certes, je me suis aperçu, à la longue, que l'air est toujours le même, mais il n'est pas assez distinct pour que je puisse le connaître par cœur. La bande sonore, si j'ose dire, n'est pas à la hauteur de la qualité visuelle. Le piano et la voix s'éteignent; un peu comme lorsqu'on s'enfonce dans les oreilles ces boules roses et caoutchouteuses censées lutter contre les décibels; tout bruit extérieur est anéanti mais les bruits intérieurs du corps, battement du cœur, gargouillis de la digestion, souffle et respiration, n'en sont qu'amplifiés...
Les deux visages me hantaient, m'obsédaient; l'un pour sa beauté pure et froide, l'autre pour son regard direct, un regard de femme dans une figure d'enfant; qu'en aurait dit mon psychanalyste?
Je revois sans cesse la scène, la grande pièce illuminée par le soleil, le piano à queue noir, la partition ouverte, la petite fille assise sur le tapis; et je pense souvent à cette musique assourdie qu'elle reprend avec une sorte de frénésie désespérée, comme si sa vie en dépendait.
Elle ouvre la bouche comme pour chanter, mais je ne parviens pas à entendre sa voix, même si je me trouve près d'elle. La particularité de la vision réside dans le fait que je perçois mal le piano, il "tinte", il ne "joue" pas. Certes, je me suis aperçu, à la longue, que l'air est toujours le même, mais il n'est pas assez distinct pour que je puisse le connaître par cœur. La bande sonore, si j'ose dire, n'est pas à la hauteur de la qualité visuelle. Le piano et la voix s'éteignent; un peu comme lorsqu'on s'enfonce dans les oreilles ces boules roses et caoutchouteuses censées lutter contre les décibels; tout bruit extérieur est anéanti mais les bruits intérieurs du corps, battement du cœur, gargouillis de la digestion, souffle et respiration, n'en sont qu'amplifiés...