BORIS Hugo - Le baiser dans la nuque (p.102-103)
… Alors qu’il
s’approche des aigus extrêmes, les chevilles deviennent moins accessibles :
l’homme échange son biseau caoutchouté contre un coin en bois au manche filiforme
qui lui permet de pincer les cordes plus en aval. Parvenu à l’extrémité du
clavier, il dévisse la tête de la clef, la remplace par un embout plus lourd.
Il s’assoit à l’autre limite de la banquette, choisit sans l’ombre d’une
hésitation un biseau plus épais, s’affaire dans les graves où les cordes sont
plus épaisses, moins nombreuses. Il souffre mieux encore. Sa bouche se tord, il
a mal au dos, à la nuque. Les notes résonnent dans son crâne, froides,
chirurgicales, l’épuisent.
Sur la table du salon, entre Louis et Fanny, un bracelet bleuté pourrait prêter à confusion – celui d’un petit François, 13 janvier, dix heures vingt-cinq. Mais l’homme est complétement indifférent à ce qui l’entoure, imperturbable, ignorant les regards que jette Fanny par-dessus son épaule.
Elle observe avec fascination le chemin sophistiqué de la note : la touche qui s’affaisse, déclenche un doigt de feutre, cogne doucement une minuscule enclume de bois, solidaire d’un marteau ovoïde qui s’abat, attaque la corde, retombe immédiatement pour lui laisser la liberté de vibrer, jusqu’à ce que le doigt lâche la touche, libère un mince étouffoir feutré qui vienne l’éteindre. Tous ces détours hypocrites pour un son instantané. Une trajectoire confidentielle qu’il vaut mieux ignorer sans doute, sous peine de paralyser son jeu, de se crisper à la pensée des conséquences en cascades que provoque la touche enfoncée.
Du doigt, Louis désigne une touche que l’homme enclenche et relève lentement en écoutant la note produite, comme pour isoler l’instant précis de son éclosion.
Il prend un air affecté, écrit patiemment :
tu vois, toute la question est là, quand tu joues une note, est ce que tu pousses ou est-ce que tu tires la touche ?...
Sur la table du salon, entre Louis et Fanny, un bracelet bleuté pourrait prêter à confusion – celui d’un petit François, 13 janvier, dix heures vingt-cinq. Mais l’homme est complétement indifférent à ce qui l’entoure, imperturbable, ignorant les regards que jette Fanny par-dessus son épaule.
Elle observe avec fascination le chemin sophistiqué de la note : la touche qui s’affaisse, déclenche un doigt de feutre, cogne doucement une minuscule enclume de bois, solidaire d’un marteau ovoïde qui s’abat, attaque la corde, retombe immédiatement pour lui laisser la liberté de vibrer, jusqu’à ce que le doigt lâche la touche, libère un mince étouffoir feutré qui vienne l’éteindre. Tous ces détours hypocrites pour un son instantané. Une trajectoire confidentielle qu’il vaut mieux ignorer sans doute, sous peine de paralyser son jeu, de se crisper à la pensée des conséquences en cascades que provoque la touche enfoncée.
Du doigt, Louis désigne une touche que l’homme enclenche et relève lentement en écoutant la note produite, comme pour isoler l’instant précis de son éclosion.
Il prend un air affecté, écrit patiemment :
tu vois, toute la question est là, quand tu joues une note, est ce que tu pousses ou est-ce que tu tires la touche ?...