LE TELLIER Hervé - Sonates de bar (p. 29-31)
Black Velvet around midnight
... Something black on the piano, someone black at the piano. Archie chante le blues, et tout le monde se tait. Il devait être minuit quand il s'est remis au clavier. Il a posé son corps lourd sur le tabouret, plaqué un accord, et toussé bruyamment, pour rire. Avec un simple « Jay ? », lancé vers moi de sa voix rauque et douce, il a creusé le silence, et il a ajouté : « Black Velvet », comme si c'était le nom d'une chanson.
J'ai hoché la tête, et Archie, de trois notes et de la main droite, a fait naître une mélodie. J'ai ouvert une bouteille d'une bière brune, sombre et dense, et rempli la moitié d'un grand tumbler, l'inclinant pour éviter la mousse. Puis j'ai complété au champagne, et Rose est allée le lui porter. De loin, je regardais les bulles remonter au sommet du cocktail, comme si un dieu invisible faisait de l'ordre dans la pénombre. De son île perdue au milieu de la fumée, Archie parlait d'amour sans espoir, d'alcool fort et de velours noir. Ses chansons faisaient monter les larmes, il savait trouver les mots justes et placer les silences. Archie n'improvisait pas, c'était autre chose. Une nuit, il m'avait confié : « I tell stories man, des histoires comme ma grand‑mère m'en racontait quand j'étais petit. Tout pareil. »
Ce soir‑là, la salle entière le regardait, fascinée comme devant ces divas fragiles dont la voix semble au met des arias menacer de se briser. Et puis, d'un coup, il a arrêté, et l'on a de nouveau entendu le silence. Archie a le verre devant lui, y a trempé ses lèvres, et s'est étiré lentement. Il a fait mine d'aller vers le bar et s'est retourné : « What ? » L’air était encore plein de sons et nul n'a osé parler. « Ça me fait du mal de chanter le blues. Vous voulez me tuer ? » Et à l'instant où la magie allait devenir malaise, il a ri, s'est rassis, et a levé le bras vers un orchestre imaginaire « Okay ! Back to the blues...
... Something black on the piano, someone black at the piano. Archie chante le blues, et tout le monde se tait. Il devait être minuit quand il s'est remis au clavier. Il a posé son corps lourd sur le tabouret, plaqué un accord, et toussé bruyamment, pour rire. Avec un simple « Jay ? », lancé vers moi de sa voix rauque et douce, il a creusé le silence, et il a ajouté : « Black Velvet », comme si c'était le nom d'une chanson.
J'ai hoché la tête, et Archie, de trois notes et de la main droite, a fait naître une mélodie. J'ai ouvert une bouteille d'une bière brune, sombre et dense, et rempli la moitié d'un grand tumbler, l'inclinant pour éviter la mousse. Puis j'ai complété au champagne, et Rose est allée le lui porter. De loin, je regardais les bulles remonter au sommet du cocktail, comme si un dieu invisible faisait de l'ordre dans la pénombre. De son île perdue au milieu de la fumée, Archie parlait d'amour sans espoir, d'alcool fort et de velours noir. Ses chansons faisaient monter les larmes, il savait trouver les mots justes et placer les silences. Archie n'improvisait pas, c'était autre chose. Une nuit, il m'avait confié : « I tell stories man, des histoires comme ma grand‑mère m'en racontait quand j'étais petit. Tout pareil. »
Ce soir‑là, la salle entière le regardait, fascinée comme devant ces divas fragiles dont la voix semble au met des arias menacer de se briser. Et puis, d'un coup, il a arrêté, et l'on a de nouveau entendu le silence. Archie a le verre devant lui, y a trempé ses lèvres, et s'est étiré lentement. Il a fait mine d'aller vers le bar et s'est retourné : « What ? » L’air était encore plein de sons et nul n'a osé parler. « Ça me fait du mal de chanter le blues. Vous voulez me tuer ? » Et à l'instant où la magie allait devenir malaise, il a ri, s'est rassis, et a levé le bras vers un orchestre imaginaire « Okay ! Back to the blues...