EFOUI Kossi - La Polka (p.34 35)
... Les amours tombent du ciel, c’est connu depuis l’enfance. On
n’y croit même pas jusqu’à ce que ça advienne. On sait depuis l’enfance que
parmi tous ceux qu’on aimera il y a quelqu’un qui mûrit au ciel et qui tombe un
jour, profitant d’un petit vent de mélancolie. Mais quand cela arrive pour de
vrai on est si retourné qu’on ne sait plus lequel des deux est tombé le
premier.
- Ce soir, Dieu vous présente la rumba sans laquelle il n’y a pas de vraie vie qui compte… A la six, à la quatre, à la deux. A la six-quatre-deux.
L’Homme-Papier a dû s’y prendre à deux fois parce que, la première fois, ce qui devait arriver n’est pas arrivé. Iléo Para n’a pas compté ses deux temps deux mesures. Les doigts du bassiste sont restés collés au manche de sa contrebassine. On attend encore le fracas long fracas court de congas. Quelque chose d’autre est arrivé. Le ciel s’est soudain soulevé renversé, a jeté là cette jeune fille que nous avons tous reconnue : tête inclinée vers l’arrière, les cheveux tressés en fines antennes, le même sourire jeté vers le ciel d’où elle est tombée. Elle est là, déjà en piste, tournoyant avant même que la musique commence.
- Dieu vous présente la Polka, hurle le maître de cérémonie.
Et de tous les grands bonds de ce corps de fille est sortie la musique enfin libérée de nos doigts. Au milieu de la piste elle tournoie sur elle-même et autour d’un partenaire d’occasion qu’elle arrache de la foule qui cède et se fait grandiose pour que sa place à elle soit plus vaste et que les murs se mettent en mouvement. J’ai peur qu’elle remonte à son ciel et je joue dix mille notes à la seconde pour tisser un fil sonore qui l’attache à la terre où je suis encore, où je peux revoir son visage adolescent sorti net et joyeux d’une carte postale après tant d’années pour remettre en mouvement un instant qu’on a cru arrêté par la pose. Et sa danse est un déroulé de poses rapides et sans coupure : Balkis de Saba, reine d’Ethiopie dansant le Cantique des Cantiques, et chacun se sent fils aimé de David roi ; Kimpa Vita l’hérétique, la Dona Béatrice du Congo, celle qui s’est faite vierge noire et saine, qui a décidé de remettre au monde le Christ en terre Congo, qui a dérouté le roi Pedro IV du Portugal au point que sa langue a inventé le mot étrange de fausse saint Antoine pour la désigner, avant de prononcer contre elle et contre son ange gardien une sentence de mort par le feu. La voici ressuscitée dans le corps de la Polka…
- Ce soir, Dieu vous présente la rumba sans laquelle il n’y a pas de vraie vie qui compte… A la six, à la quatre, à la deux. A la six-quatre-deux.
L’Homme-Papier a dû s’y prendre à deux fois parce que, la première fois, ce qui devait arriver n’est pas arrivé. Iléo Para n’a pas compté ses deux temps deux mesures. Les doigts du bassiste sont restés collés au manche de sa contrebassine. On attend encore le fracas long fracas court de congas. Quelque chose d’autre est arrivé. Le ciel s’est soudain soulevé renversé, a jeté là cette jeune fille que nous avons tous reconnue : tête inclinée vers l’arrière, les cheveux tressés en fines antennes, le même sourire jeté vers le ciel d’où elle est tombée. Elle est là, déjà en piste, tournoyant avant même que la musique commence.
- Dieu vous présente la Polka, hurle le maître de cérémonie.
Et de tous les grands bonds de ce corps de fille est sortie la musique enfin libérée de nos doigts. Au milieu de la piste elle tournoie sur elle-même et autour d’un partenaire d’occasion qu’elle arrache de la foule qui cède et se fait grandiose pour que sa place à elle soit plus vaste et que les murs se mettent en mouvement. J’ai peur qu’elle remonte à son ciel et je joue dix mille notes à la seconde pour tisser un fil sonore qui l’attache à la terre où je suis encore, où je peux revoir son visage adolescent sorti net et joyeux d’une carte postale après tant d’années pour remettre en mouvement un instant qu’on a cru arrêté par la pose. Et sa danse est un déroulé de poses rapides et sans coupure : Balkis de Saba, reine d’Ethiopie dansant le Cantique des Cantiques, et chacun se sent fils aimé de David roi ; Kimpa Vita l’hérétique, la Dona Béatrice du Congo, celle qui s’est faite vierge noire et saine, qui a décidé de remettre au monde le Christ en terre Congo, qui a dérouté le roi Pedro IV du Portugal au point que sa langue a inventé le mot étrange de fausse saint Antoine pour la désigner, avant de prononcer contre elle et contre son ange gardien une sentence de mort par le feu. La voici ressuscitée dans le corps de la Polka…