QUIROGA Horacio - La mort d'Isolde (in Contes d'amour, de folie et de mort) (p.46-48)
... Je ne l'avais pas revue. C'était
pour moi comme un premier amour, avec toute la dignité du charme qu'une idylle
virginale peut avoir pour l'homme fait, qui a ensuite aimé mille fois... Si un
pour vous étiez aimé comme je l'ai été, et si comme moi vous deviez commettre
un outrage, vous comprendriez alors toute la pureté virile qu'il y a dans mon
souvenir.
Jusqu'à ce soir où je suis tombé sur elle. Oui, ce soir‑là, au théâtre... J'ai compris, en voyant son opulent boutiquier de mari, qu'elle s'était précipitée dans le mariage comme moi vers l'Ucayali... Mais en la revoyant à vingt mètres de moi, qui me regardait, j'ai senti qu'en mon âme, assoupie dans la paix, surgissait, sanglante, la désolation de l'avoir perdue, comme si des dix années n'avaient été qu'un jour. Inès, sa beauté, son regard unique entre toutes les femmes, avaient été à moi, bien à moi, parce qu'on me les avait abandonnés avec adoration. Un beau jour vous aussi, vous connaîtrez cela.
J'ai fait ce qui était humainement possible pour oublier. je me suis cassé la tête en essayant de me concentrer de tout mon esprit sur la scène. Mais la prodigieuse partition de Wagner, ce cri de passion maladive enflamma comme une torche vive ce que je voulais oublier. Au second ou au troisième acte, le n'en pouvais plus et j'ai tourné la tête. Elle aussi subissait la suggestion de Wagner, et me regardait. Inès, mon amour! Pendant une demi minute, sa bouche, ses mains, furent sous ma bouche, sous mes yeux, et pendant ce temps toute la sensation de sa joie morte dix ans plus tôt se concentra dans sa pâleur. Et Tristan, toujours, avec ses hurlements de passion surhumaine, sur notre bonheur mort.
Alors, je me suis levé, J'ai traversé les rangs comme un somnambule, et je me suis avancé dans le couloir pour me rapprocher d'elle, sans la voir, sans qu'elle me vit, comme si pendant dix ans je n'avais pas été, moi, un misérable...
Jusqu'à ce soir où je suis tombé sur elle. Oui, ce soir‑là, au théâtre... J'ai compris, en voyant son opulent boutiquier de mari, qu'elle s'était précipitée dans le mariage comme moi vers l'Ucayali... Mais en la revoyant à vingt mètres de moi, qui me regardait, j'ai senti qu'en mon âme, assoupie dans la paix, surgissait, sanglante, la désolation de l'avoir perdue, comme si des dix années n'avaient été qu'un jour. Inès, sa beauté, son regard unique entre toutes les femmes, avaient été à moi, bien à moi, parce qu'on me les avait abandonnés avec adoration. Un beau jour vous aussi, vous connaîtrez cela.
J'ai fait ce qui était humainement possible pour oublier. je me suis cassé la tête en essayant de me concentrer de tout mon esprit sur la scène. Mais la prodigieuse partition de Wagner, ce cri de passion maladive enflamma comme une torche vive ce que je voulais oublier. Au second ou au troisième acte, le n'en pouvais plus et j'ai tourné la tête. Elle aussi subissait la suggestion de Wagner, et me regardait. Inès, mon amour! Pendant une demi minute, sa bouche, ses mains, furent sous ma bouche, sous mes yeux, et pendant ce temps toute la sensation de sa joie morte dix ans plus tôt se concentra dans sa pâleur. Et Tristan, toujours, avec ses hurlements de passion surhumaine, sur notre bonheur mort.
Alors, je me suis levé, J'ai traversé les rangs comme un somnambule, et je me suis avancé dans le couloir pour me rapprocher d'elle, sans la voir, sans qu'elle me vit, comme si pendant dix ans je n'avais pas été, moi, un misérable...