BALZAC Honoré de - Gambara (p.91-93)
Quand le cuisinier reparut, toutes les assiettes étaient
vides, et la salle retentissait des louanges du maître d'hôtel. Le vin de
Champagne échauffa bientôt les têtes italiennes, et la conversation,
jusqu'alors contenue par la présence d'un étranger, sauta par‑dessus les bornes
d'une réserve soupçonneuse pour se répandre çà et là dans les champs immenses
des théories politiques et artistiques. Andrea, qui ne connaissait d'autres
ivresses que celles de l'amour et de la poésie, se rendit bientôt maître de
l'attention générale, et conduisit habilement la discussion sur le terrain des
questions musicales.
‑ Veuillez m'apprendre, monsieur, dit‑il au faiseur de contredanses, comment le Napoléon des petits airs s'abaisse à détrôner Palestrina, Pergolèse, Mozart, pauvres gens qui vont plier bagage aux approches de cette foudroyante messe de mort?
- Monsieur, dit le compositeur, un musicien est toujours embarrassé de répondre quand sa réponse exige le concours de cent exécutants habiles. Mozart, Haydn et Beethoven, sans orchestre, sont peu de chose.
- Peu de chose? reprit le comte, mais tout le monde sait que l'auteur immortel de Don Juan et du Requiem s'appelle Mozart, et j'ai le malheur d'ignorer celui du fécond inventeur des contredanses qui ont tant de vogue dans les salons.
‑ La musique existe indépendamment de l'exécution , dit le chef d'orchestre qui malgré sa surdité avait saisi quelques mots de la discussion. En ouvrant la Symphonie en ut mineur de Beethoven un homme de musique est bientôt transporté dans le monde de la Fantaisie sur les ailes d'or du thème en sol naturel, répété en mi par les cors. Il voit toute une nature tour à tour éclairée par d'éblouissantes gerbes de lumières, assombrie par des nuages de mélancolie, égayée par des chants divins.
‑ Beethoven est dépassé par la nouvelle école, dit dédaigneusement le compositeur de romances.
‑ Il n'est pas encore compris, dit le comte, comment serait‑il dépassé ?
Ici Gambara but un grand verre de vin de Champagne, et accompagna sa libation d'un demi‑sourire approbateur.
‑ Beethoven, reprit le comte, a reculé les bornes de la musique instrumentale, et personne ne l'a suivi.
Gambara réclama par un mouvement de tête.
‑ Ses ouvrages sont surtout remarquables par la simplicité du plan, et par la manière dont est suivi ce plan, reprit le comte. Chez la plupart des compositeurs, les parties d'orchestre folles et désordonnées ne s'entrelacent que pour produire l'effet du moment, elles ne concourent pas toujours à l'ensemble du morceau par la régularité de leur marche, Chez Beethoven, les effets sont pour ainsi dire distribués d'avance. Semblables aux différents régiments qui contribuent par des mouvements réguliers au gain de la bataille, les parties d'orchestre des symphonies de Beethoven suivent les ordres donnés dans l'intérêt général, et sont subordonnées à des plans admirablement bien conçus. Il y a parité sous ce rapport chez un génie d'un autre genre. Dans les magnifiques compositions historiques de Walter Scott, le personnage le plus en dehors de l'action vient, à un moment donné, par des fils tissus dans la trame de l'intrigue, se rattacher au dénouement.
‑ È vero! dit Gambara à qui le bon sens semblait revenir en sens inverse de sa sobriété.
‑ Veuillez m'apprendre, monsieur, dit‑il au faiseur de contredanses, comment le Napoléon des petits airs s'abaisse à détrôner Palestrina, Pergolèse, Mozart, pauvres gens qui vont plier bagage aux approches de cette foudroyante messe de mort?
- Monsieur, dit le compositeur, un musicien est toujours embarrassé de répondre quand sa réponse exige le concours de cent exécutants habiles. Mozart, Haydn et Beethoven, sans orchestre, sont peu de chose.
- Peu de chose? reprit le comte, mais tout le monde sait que l'auteur immortel de Don Juan et du Requiem s'appelle Mozart, et j'ai le malheur d'ignorer celui du fécond inventeur des contredanses qui ont tant de vogue dans les salons.
‑ La musique existe indépendamment de l'exécution , dit le chef d'orchestre qui malgré sa surdité avait saisi quelques mots de la discussion. En ouvrant la Symphonie en ut mineur de Beethoven un homme de musique est bientôt transporté dans le monde de la Fantaisie sur les ailes d'or du thème en sol naturel, répété en mi par les cors. Il voit toute une nature tour à tour éclairée par d'éblouissantes gerbes de lumières, assombrie par des nuages de mélancolie, égayée par des chants divins.
‑ Beethoven est dépassé par la nouvelle école, dit dédaigneusement le compositeur de romances.
‑ Il n'est pas encore compris, dit le comte, comment serait‑il dépassé ?
Ici Gambara but un grand verre de vin de Champagne, et accompagna sa libation d'un demi‑sourire approbateur.
‑ Beethoven, reprit le comte, a reculé les bornes de la musique instrumentale, et personne ne l'a suivi.
Gambara réclama par un mouvement de tête.
‑ Ses ouvrages sont surtout remarquables par la simplicité du plan, et par la manière dont est suivi ce plan, reprit le comte. Chez la plupart des compositeurs, les parties d'orchestre folles et désordonnées ne s'entrelacent que pour produire l'effet du moment, elles ne concourent pas toujours à l'ensemble du morceau par la régularité de leur marche, Chez Beethoven, les effets sont pour ainsi dire distribués d'avance. Semblables aux différents régiments qui contribuent par des mouvements réguliers au gain de la bataille, les parties d'orchestre des symphonies de Beethoven suivent les ordres donnés dans l'intérêt général, et sont subordonnées à des plans admirablement bien conçus. Il y a parité sous ce rapport chez un génie d'un autre genre. Dans les magnifiques compositions historiques de Walter Scott, le personnage le plus en dehors de l'action vient, à un moment donné, par des fils tissus dans la trame de l'intrigue, se rattacher au dénouement.
‑ È vero! dit Gambara à qui le bon sens semblait revenir en sens inverse de sa sobriété.