ENQUIST Anna - Le saut (p.19-20)
… Maman monta dans ma chambre.
Mes piétinements, mon va-et-vient
l’avaient inquiétée. Je lui tendis la lettre et restai devant elle, les
mains croisées, le temps de sa lecture. « Tss, tss,tss », fit-elle,
et elle hochait le tête par moments. Elle n’est pas femme à comprendre,
pensai-je. Cet amour la dépasse.
Elle se mit en colère. « De l’esclavage, dit-elle, la manie de tout régenter, un égoïsme exorbitant. Tu dois laisser tomber cet homme, Alma. Il faut rompre avec quelqu’un qui méconnaît à ce point qui tu es. Rompre. Dès demain ! »
Je vis les tâches rouges s’allumer sur son cou. Elle était assise sur le bord de mon lit, genoux contractés, et faisait défiler les pages entre ses doigts tremblants. « Tu as fait de la musique toute ta vie, disait-elle, comment pourrais-tu t’arrêter ? Aucun être humain n’est en droit d’exiger une chose pareille d’autrui. Mais qu’a-t-il donc dans la tête, ce Malher ! Pour qui se prend-il donc ? »
Plus elle dégoisait, plus je percevais nettement la quiétude envahir mon être. Je compris soudain que je possédais un trésor que je pouvais offrir à cet homme. Jamais je ne m’étais sentie aussi forte et aussi noble. De quoi maman parlait-elle au juste ? Que savait-elle de la passion, du sacrifice consenti ? Je retrouvai un calme souverain. Sans hâte, à gestes mesurés, je repris la lettre posée dans son giron, la repliai et la rangeai dans un tiroir. Elle s’y trouve encore. Je remerciai maman pour ses conseils et lui dis que j’allais dormir. Résolue. Sereine. Sauvée…
Elle se mit en colère. « De l’esclavage, dit-elle, la manie de tout régenter, un égoïsme exorbitant. Tu dois laisser tomber cet homme, Alma. Il faut rompre avec quelqu’un qui méconnaît à ce point qui tu es. Rompre. Dès demain ! »
Je vis les tâches rouges s’allumer sur son cou. Elle était assise sur le bord de mon lit, genoux contractés, et faisait défiler les pages entre ses doigts tremblants. « Tu as fait de la musique toute ta vie, disait-elle, comment pourrais-tu t’arrêter ? Aucun être humain n’est en droit d’exiger une chose pareille d’autrui. Mais qu’a-t-il donc dans la tête, ce Malher ! Pour qui se prend-il donc ? »
Plus elle dégoisait, plus je percevais nettement la quiétude envahir mon être. Je compris soudain que je possédais un trésor que je pouvais offrir à cet homme. Jamais je ne m’étais sentie aussi forte et aussi noble. De quoi maman parlait-elle au juste ? Que savait-elle de la passion, du sacrifice consenti ? Je retrouvai un calme souverain. Sans hâte, à gestes mesurés, je repris la lettre posée dans son giron, la repliai et la rangeai dans un tiroir. Elle s’y trouve encore. Je remerciai maman pour ses conseils et lui dis que j’allais dormir. Résolue. Sereine. Sauvée…