BLEYS Olivier - Le colonel désaccordé (p.343-344)
Ângelo, lui, passait le temps en griffonnant de la musique. Il n'avait pas espéré beaucoup dans cette activité, difficile à tenir sous la chaleur qui faisait les mains moites et les yeux larmoyants. A chaque instant, des fourmis chutaient dans l'encrier, des moucherons forçaient ses narines, qu'il fallait chasser d'une grande expiration. Pourtant, des idées lui venaient qu'il n'avait pas eues à Rio, qu'il n'avait jamais connues, peut-être, aussi libres et déliées. Il lui semblait que ses oreilles, dégourdies par l'ai chaud entendaient mieux; que l'enchaînement des notes était plus fluide lorsqu’il les déposait, gouttelettes noires, sur le papier ramolli.
Et cependant, il en avait l'intuition, le solfège n'était d'aucune utilité ici. Le soldat s'interrogeait s'il pouvait servir ailleurs qu'en ville, si sa construction rigoureuse, image des maisons de pierre aux angles aigus, pouvait témoigner du foisonnement naturel. Impossible de traduire en notes d'une certaine valeur et d'une certaine durée le ramage profus de la jungle. La forêt lui évoquait une partition sans mesure : c'était un orchestre aux mille instruments, exécutant une symphonie riche et foisonnante -- mais une symphonie au rythme insaisissable, qu'aucun métronome n'eût pu discipliner. Ângelo écoutait le chant des oiseaux, le cri des singes, la stridulation des criquets; il prêtait l'oreille au crissement des bambous, à la chute étouffée des mangues. Rien à faire : son pied pouvait battre en cadence! Il semblait aussi vain d'enserrer l'Amazonie dans le cadre étroit d'un tableau que d'enfermer son chant dans une musique à trois ou quatre temps.
"Tu composes? s'étonna Horacio qui balançait d'une main à l'autre le canon brûlant de son arme.
-- J'ai commencé un concerto pour piano..., avoua son frère. Il s'intitulera : Uirapuru. C'est le nom d'un oiseau d'ici. Le guide m'a expliqué qu'on n'entendait son chant qu'une ou deux fois par an, pendant qu'il construisait son nid. Sa musique est si pure que les autres oiseaux, paraît-il, font silence pour l'écouter!...
Et cependant, il en avait l'intuition, le solfège n'était d'aucune utilité ici. Le soldat s'interrogeait s'il pouvait servir ailleurs qu'en ville, si sa construction rigoureuse, image des maisons de pierre aux angles aigus, pouvait témoigner du foisonnement naturel. Impossible de traduire en notes d'une certaine valeur et d'une certaine durée le ramage profus de la jungle. La forêt lui évoquait une partition sans mesure : c'était un orchestre aux mille instruments, exécutant une symphonie riche et foisonnante -- mais une symphonie au rythme insaisissable, qu'aucun métronome n'eût pu discipliner. Ângelo écoutait le chant des oiseaux, le cri des singes, la stridulation des criquets; il prêtait l'oreille au crissement des bambous, à la chute étouffée des mangues. Rien à faire : son pied pouvait battre en cadence! Il semblait aussi vain d'enserrer l'Amazonie dans le cadre étroit d'un tableau que d'enfermer son chant dans une musique à trois ou quatre temps.
"Tu composes? s'étonna Horacio qui balançait d'une main à l'autre le canon brûlant de son arme.
-- J'ai commencé un concerto pour piano..., avoua son frère. Il s'intitulera : Uirapuru. C'est le nom d'un oiseau d'ici. Le guide m'a expliqué qu'on n'entendait son chant qu'une ou deux fois par an, pendant qu'il construisait son nid. Sa musique est si pure que les autres oiseaux, paraît-il, font silence pour l'écouter!...