BOR Joseph - Le requiem de Terezin (p.18-19)
...Schächter se souvint de l’instant précis qui l’avait amené à commencer l’étude de cette œuvre. Prouver l’imposture, l’aberration des notions de sang pur ou impur, de race supérieure ou inférieure, démontrer cela précisément dans un camp juif par le moyen de la musique, cet art qui mieux peut-être que tout autre lui semblait pouvoir révéler la valeur authentique de l’homme ; depuis longtemps cette idée le hantait. C’est pourquoi il avait tenu à rassembler des groupes d’origines les plus diverses, pour que chacun se rendit compte de l’élévation artistique à laquelle il pouvait atteindre avec des hommes si différents.
Après de longues réflexions, il avait préféré le Requiem de Verdi à toute autre œuvre. Cette musique italienne, composée sur un texte latin, inspirée par des prières catholiques, serait interprétée par des chanteurs juifs, des musiciens de toute nationalités, venant de Bohême, d’Autriche, d’Allemagne, de Hollande et du Danemark, certains même de Pologne et de Hongrie ; l’exécution de ce Requiem dans un ghetto serait dirigée par un chef d’orchestre athée : l’idée lui en sembla magnifique.
Bientôt elle ne lui laissa plus de paix, l’attirant chaque jour davantage. Il ignorait encore ce que les nazis avaient l’intention de faire du ghetto de Terezin ; quel être sain d’esprit aurait pu deviner leurs desseins ? Déjà ils rassemblaient dans ce camp les plus grands artistes juifs d’une partie de l’Europe, créant ainsi sans le savoir les conditions qui inciteraient les prisonniers à se plonger au plus profond d’eux-mêmes pour méditer sur les questions essentielles de la vie et de la mort.