HOFFMANN Ernst T.W. - Le Violon De Crémone (p.28)
... J'aperçus dans la glace qu'il avait les yeux pleins de larmes.
Sitôt le conseiller parti, je priai le professeur de me dire ce qu'il en était des violons, et surtout d'Antonie. Ah! dit le professeur, comme le conseiller est un homme excentrique en toute chose, il a aussi une manière à lui, une manière insensée, de fabriquer des violons. ‑ Il fabrique des violons? demandai‑je ébahi.
‑ Oui, poursuivit le professeur, Krespel construit des violons qui sont, de l'avis des connaisseurs, les instruments les plus admirables que l'on construise de nos jours. Jadis, lorsque l'un d'eux était particulièrement réussi, il permettait quelquefois à d'autres que lui d'en jouer, mais depuis quelque temps, il n'en est plus ainsi. Dès qu'il a terminé un violon, il en joue une heure ou deux, avec une puissance extrême, une expression ravissante, puis il le suspend à côté des autres, sans jamais, plus y toucher ni permettre que d'autres y touchent. S'il y a moyen de dénicher un violon de quelque vieux maître réputé, le conseiller l'achète à n'importe quel prix. Mais il n'en joue qu'une seule fois, comme de ses propres violons, puis il le démonte pour en examiner de près la structure et, s'il n'y découvre pas ce qu'il imaginait y trouver, il en jette avec dépit les débris dans une grande caisse déjà pleine des morceaux des violons démontés.
Mais Antonie? demandai‑je vivement, avec une sorte d'emportement. ‑ Nous touchons là à une chose qui me ferait haïr le conseiller de toute mon âme, dit le professeur, si je n'étais convaincu que, vu son caractère foncièrement affectueux et même tendre, il doit y avoir là‑dessous un mystère qui m'échappe...
Sitôt le conseiller parti, je priai le professeur de me dire ce qu'il en était des violons, et surtout d'Antonie. Ah! dit le professeur, comme le conseiller est un homme excentrique en toute chose, il a aussi une manière à lui, une manière insensée, de fabriquer des violons. ‑ Il fabrique des violons? demandai‑je ébahi.
‑ Oui, poursuivit le professeur, Krespel construit des violons qui sont, de l'avis des connaisseurs, les instruments les plus admirables que l'on construise de nos jours. Jadis, lorsque l'un d'eux était particulièrement réussi, il permettait quelquefois à d'autres que lui d'en jouer, mais depuis quelque temps, il n'en est plus ainsi. Dès qu'il a terminé un violon, il en joue une heure ou deux, avec une puissance extrême, une expression ravissante, puis il le suspend à côté des autres, sans jamais, plus y toucher ni permettre que d'autres y touchent. S'il y a moyen de dénicher un violon de quelque vieux maître réputé, le conseiller l'achète à n'importe quel prix. Mais il n'en joue qu'une seule fois, comme de ses propres violons, puis il le démonte pour en examiner de près la structure et, s'il n'y découvre pas ce qu'il imaginait y trouver, il en jette avec dépit les débris dans une grande caisse déjà pleine des morceaux des violons démontés.
Mais Antonie? demandai‑je vivement, avec une sorte d'emportement. ‑ Nous touchons là à une chose qui me ferait haïr le conseiller de toute mon âme, dit le professeur, si je n'étais convaincu que, vu son caractère foncièrement affectueux et même tendre, il doit y avoir là‑dessous un mystère qui m'échappe...