RUSHDIE Salman - La terre sous les pieds (p.127-128)
... Ormus Cama se retira. Abandonnant ses parents à leurs disputes rituelles, il erra dans l’appartement tentaculaire d’Apollo Bunder. Tant qu’il resta dans le champ de vision de Sir Darius, ses mouvements furent exagérément adolescents, c’est-à-dire indolents et apathiques, l’image même de la décadence de la jeunesse parsie. Mais quand son père ne le vit plus, une transformation remarquable se produisit. On doit se rappeler qu’Ormus, chanteur né, n’avait pas laissé sortit une chanson de ses lèvres depuis la nuit où son frère aîné Cyrius avait failli l’étouffer ; et un inconnu, le regardant aujourd’hui, aurait pu facilement conclure que toute la musique non chantée de ses années de silence s’était accumulée en lui, lui causant des douleurs aiguës, et même une véritable souffrance ; et que les mélodies en cage essayaient effectivement de jaillir de son corps quand il marchait.
Oh, comme il se balançait et s’agitait.
Si je dis qu’Ormus Cama fut le plus grand chanteur populaire, celui dont le génie dépassait tous les autres, que la meute ne rattrapa jamais, je suis sûr que même mon lecteur le plus exigeant sera aussitôt d’accord. C’était un sorcier de la musique dont les mélodies pouvaient faire danser les rues de la ville et se balancer les hauts immeubles à son rythme, un troubadour génial dont les airs entraînant pouvaient ouvrir les portes de l’enfer. Il incarnait le chanteur et le parolier comme chamane et porte-parole, et il devint le saint païen de l’époque. D’après lui, il était plus que ça ; il prétendait être rien moins que le créateur secret, l’inventeur secret de la musique qui coule dans notre sang, qui nous possède et nous émeut, où qu’on se trouve, la musique qui parle la langue secrète de toute l’humanité, notre héritage commun quelle que soit notre langue maternelle, quelles que soient les premières danses que nous ayons apprises.
Oh, comme il se balançait et s’agitait.
Si je dis qu’Ormus Cama fut le plus grand chanteur populaire, celui dont le génie dépassait tous les autres, que la meute ne rattrapa jamais, je suis sûr que même mon lecteur le plus exigeant sera aussitôt d’accord. C’était un sorcier de la musique dont les mélodies pouvaient faire danser les rues de la ville et se balancer les hauts immeubles à son rythme, un troubadour génial dont les airs entraînant pouvaient ouvrir les portes de l’enfer. Il incarnait le chanteur et le parolier comme chamane et porte-parole, et il devint le saint païen de l’époque. D’après lui, il était plus que ça ; il prétendait être rien moins que le créateur secret, l’inventeur secret de la musique qui coule dans notre sang, qui nous possède et nous émeut, où qu’on se trouve, la musique qui parle la langue secrète de toute l’humanité, notre héritage commun quelle que soit notre langue maternelle, quelles que soient les premières danses que nous ayons apprises.