EMMANUEL François - La leçon de chant (p.20-21)
... Lorsque Clara est entrée dans la salle, je me suis souvenu des auditions d'académie où les novices tremblent d'essayer leur voix devant le maître. Au début ils expriment un frêle filet vocal, puis d'un coup ils s'ouvrent sans réserve et tout en eux se dénude, ils vacillent alors dans la lumière, découvrant, le cœur en folie, qu'un corps peut s'appuyer sur le souffle comme une aile sur le vent.
Depuis que j'enseigne, sans doute une perversion de l'âge, je connais le dommage que peut causer l'incessante vocalise. Des voix touchées par la grâce mais perlées d'impuretés révèlent à la longue des timbres lisses qui n'accrochent plus de la même façon. Le corps s'en est dépris, dirait-on, ce sont des âmes savantes. C'est pourquoi j'ai éprouvé tant d'émotion à entendre Clara pour la première fois. Cette voix était en train de naître, il me fallait la laisser grandir, ne pas trop la mener à l'école des évidences et veiller à ce que n'y meure jamais l’éclat primitif noir, la raucité poignante, la ferveur.
Professeur, on confond souvent faire et découvrir. Dès notre rencontre je me suis senti glisser vers elle dans une sorte de passion. Clara s'habillait souvent de sombre, avec quelque foulard fleuri négligemment noué dans ses cheveux. De son visage il émanait une candeur inquiète dont elle se défendait par une façon de toiser l'autre, avec un regard de statue où l'on aurait pu lire le dédain. Ce devait être une parade, un silence dans le jeu des apparences. Lorsqu'elle se sentait surprise, elle laissait flotter un sourire très vaste, très vague, afin de repousser l'approche, ou d'éluder gracieusement la question. Au moment de chanter, elle détournait la tête, ramenait les coudes au corps, ouvrait les mains, comme pour s'appuyer sur la colonne d'air montante. Le silence qui suivait la trouvait désemparée...
Depuis que j'enseigne, sans doute une perversion de l'âge, je connais le dommage que peut causer l'incessante vocalise. Des voix touchées par la grâce mais perlées d'impuretés révèlent à la longue des timbres lisses qui n'accrochent plus de la même façon. Le corps s'en est dépris, dirait-on, ce sont des âmes savantes. C'est pourquoi j'ai éprouvé tant d'émotion à entendre Clara pour la première fois. Cette voix était en train de naître, il me fallait la laisser grandir, ne pas trop la mener à l'école des évidences et veiller à ce que n'y meure jamais l’éclat primitif noir, la raucité poignante, la ferveur.
Professeur, on confond souvent faire et découvrir. Dès notre rencontre je me suis senti glisser vers elle dans une sorte de passion. Clara s'habillait souvent de sombre, avec quelque foulard fleuri négligemment noué dans ses cheveux. De son visage il émanait une candeur inquiète dont elle se défendait par une façon de toiser l'autre, avec un regard de statue où l'on aurait pu lire le dédain. Ce devait être une parade, un silence dans le jeu des apparences. Lorsqu'elle se sentait surprise, elle laissait flotter un sourire très vaste, très vague, afin de repousser l'approche, ou d'éluder gracieusement la question. Au moment de chanter, elle détournait la tête, ramenait les coudes au corps, ouvrait les mains, comme pour s'appuyer sur la colonne d'air montante. Le silence qui suivait la trouvait désemparée...