BALZAC Honoré de - Massimilia Doni (p.228-229)
... La
représentation finissait par un concert des malédictions les plus originales,
par les sifflets prodigués à Genovese, et par un accès de folie en faveur de la
Tinti. Depuis longtemps les Vénitiens n'avaient eu de théâtre plus animé, leur
vie était enfin réchauffée par cet antagonisme qui n'a jamais failli en Italie,
où la moindre ville a toujours vécu par les intérêts opposés de deux factions:
les Gibelins et les Guelfes partout, les Capulets et les Montaigu à Vérone, les
Geremeï et les Lomelli à Bologne, les Fieschi et les Doria à Gênes, les
patriciens et le peuple, le sénat et les tribuns de la république romaine, les
Pazzi et les Medici à Florence, les Sforza et les Visconti à Milan, les Orsini
et les Colonna à Rome; enfin partout et en tous lieux le même mouvement. Dans
les rues, il y avait déjà des Genovesiens et des Tintistes. Le prince
reconduisit la duchesse, que l'amour d'Osiride avait plus qu'attristée; elle
croyait pour elle‑même à quelque catastrophe semblable, et ne pouvait que
presser Emilio sur son coeur, comme pour le garder près d'elle.
‑ Songe à ta promesse, lui dit Vendramin, je t'attends sur la place.
Vendramin prit le bras du Français, et lui proposa de se promener sur la place Saint‑Marc en attendant le prince.
‑ Je serai bien heureux s'il ne revient pas, dit‑il.
Cette parole fut le point de départ d'une conversation entre le Français et Vendramin, qui vit en ce moment un avantage à consulter un médecin, et qui lui raconta la singulière position dans laquelle était Emilio. Le Français fit ce qu'en toute occasion font les Français, il se mit à rire. Vendramin, qui trouvait la chose énormément sérieuse, se fâcha; mais il s'apaisa quand l'élève de Magendie, de Flourens, de Cuvier, de Dupuytren, de Broussais, lui dit qu'il croyait pouvoir guérir le prince de son bonheur excessif, et dissiper la céleste poésie dans laquelle il environnait la duchesse comme d'un nuage.
‑ Heureux malheur, dit‑il. Les anciens, qui n'étaient pas aussi niais que le feraient supposer leur ciel de cristal et leurs idées en physique, ont voulu peindre dans leur fable d'Ixion cette puissance qui annule le corps et rend l'esprit souverain de toutes choses.
Vendramin et le médecin virent venir Genovese, accompagné du fantasque Capraja. Le mélomane désirait vivement savoir la véritable cause du fiasco. Le ténor, mis sur cette question, bavardait comme ces hommes qui se grisent par la force des idées que leur suggère une passion.
‑ Oui, signor, je l'aime, je l'adore avec une fureur dont je ne me croyais plus capable après m'être lassé des femmes. Les femmes nuisent trop à l'art pour qu'on puisse mener ensemble les plaisirs et le travail. La Clara croit que je suis jaloux de ses succès et que j'ai voulu empêcher son triomphe à Venise; mais je l'applaudissais dans la coulisse et criais: Diva! plus fort que toute la salle.
‑ Mais, dit Cataneo en survenant, ceci n'explique pas comment de chanteur divin tu es devenu le plus exécrable de tous ceux qui font passer de l'air par leur gosier, sans l'empreindre de cette suavité enchanteresse qui nous ravit.
‑ Moi, dit le virtuose, moi devenu mauvais chanteur, moi qui égale les plus grands maîtres!...
‑ Songe à ta promesse, lui dit Vendramin, je t'attends sur la place.
Vendramin prit le bras du Français, et lui proposa de se promener sur la place Saint‑Marc en attendant le prince.
‑ Je serai bien heureux s'il ne revient pas, dit‑il.
Cette parole fut le point de départ d'une conversation entre le Français et Vendramin, qui vit en ce moment un avantage à consulter un médecin, et qui lui raconta la singulière position dans laquelle était Emilio. Le Français fit ce qu'en toute occasion font les Français, il se mit à rire. Vendramin, qui trouvait la chose énormément sérieuse, se fâcha; mais il s'apaisa quand l'élève de Magendie, de Flourens, de Cuvier, de Dupuytren, de Broussais, lui dit qu'il croyait pouvoir guérir le prince de son bonheur excessif, et dissiper la céleste poésie dans laquelle il environnait la duchesse comme d'un nuage.
‑ Heureux malheur, dit‑il. Les anciens, qui n'étaient pas aussi niais que le feraient supposer leur ciel de cristal et leurs idées en physique, ont voulu peindre dans leur fable d'Ixion cette puissance qui annule le corps et rend l'esprit souverain de toutes choses.
Vendramin et le médecin virent venir Genovese, accompagné du fantasque Capraja. Le mélomane désirait vivement savoir la véritable cause du fiasco. Le ténor, mis sur cette question, bavardait comme ces hommes qui se grisent par la force des idées que leur suggère une passion.
‑ Oui, signor, je l'aime, je l'adore avec une fureur dont je ne me croyais plus capable après m'être lassé des femmes. Les femmes nuisent trop à l'art pour qu'on puisse mener ensemble les plaisirs et le travail. La Clara croit que je suis jaloux de ses succès et que j'ai voulu empêcher son triomphe à Venise; mais je l'applaudissais dans la coulisse et criais: Diva! plus fort que toute la salle.
‑ Mais, dit Cataneo en survenant, ceci n'explique pas comment de chanteur divin tu es devenu le plus exécrable de tous ceux qui font passer de l'air par leur gosier, sans l'empreindre de cette suavité enchanteresse qui nous ravit.
‑ Moi, dit le virtuose, moi devenu mauvais chanteur, moi qui égale les plus grands maîtres!...