DEL CASTILLO Michel - Mamita (p.130-132)
... Il se produisit alors un
évènement étrange : non seulement il n’interrompit pas le morceau, non
seulement il ne demanda pas à reprendre l’enregistrement, mais, tout
naturellement, avec une évidente simplicité, il enchaîna sur le nocturne
suivant, puis sur un autre. Il jouait comme il devisait avec Sarah, comme il
avait si souvent bavardé avec Marc. Il tentait de dire…
Concentré, absorbé, il en avait oublié le studio. Il ne voyait pas Tim qui, dans sa cabine, n’avait pas marqué la moindre hésitation, le suivant, captant chacune de ces précieuses minutes. Tête baissée, le jeune homme pleurait de vraies larmes. Il entendait les sanglots étouffés du piano. C’était plus que de la musique, c’était une double vie, celle d’un musicien solitaire, exilé de la sienne, rongé par la maladie, et celle d’un éternel exilé, d’un vieillard dépouillé de ses illusions. Le piano de Xavier murmurait un désespoir héroïque, sa voix devenait par moments à peine audible, à la manière d’un souffle exténué, et Tim actionnait ses manettes pour capter ces soupirs, ces larmes qui étaient celles d’un monde à jamais disparu. Il entendait le vieux chant de l’Europe, ce lamento pensif, d’une élégance tranquille. Combien de guerres et d’épidémies, de ruines et de carnages pour aboutie à ce sourire voilé de larmes ? Ce n’était presque rien, quelques mesures d’une discrétion raffinée. Perdu dans ce songe, Xavier continuait à jouer, enfilant les morceaux l’un après l’autre.
Timothy gardait la tête baissée, emporté lui aussi par ce flot ; Il se persuadait que Xavier jouait pour lui, et peut-être était-ce en parie vrai. Il jouait pour tous ceux qu’il avait ailés dans sa longue vie, pour Marc, pour Sarah, pour Mamita. Mesure après mesure, il refaisait le chemin parcouru depuis le grand salon de la rue Goya jusqu’au piano solitaire de l’avenue Hoche et rejoignait l’enfant perdu. Il essayait d’exprimer sa douleur étonnée. Quand en un doux glissando, il laissa mourir les derniers arpèges, quand la dernière note parut se fondre dans une nuit immobile et sereine, il y eut un interminable silence. Xavier restait tête baissée, buste penché, épaules courbées...
Concentré, absorbé, il en avait oublié le studio. Il ne voyait pas Tim qui, dans sa cabine, n’avait pas marqué la moindre hésitation, le suivant, captant chacune de ces précieuses minutes. Tête baissée, le jeune homme pleurait de vraies larmes. Il entendait les sanglots étouffés du piano. C’était plus que de la musique, c’était une double vie, celle d’un musicien solitaire, exilé de la sienne, rongé par la maladie, et celle d’un éternel exilé, d’un vieillard dépouillé de ses illusions. Le piano de Xavier murmurait un désespoir héroïque, sa voix devenait par moments à peine audible, à la manière d’un souffle exténué, et Tim actionnait ses manettes pour capter ces soupirs, ces larmes qui étaient celles d’un monde à jamais disparu. Il entendait le vieux chant de l’Europe, ce lamento pensif, d’une élégance tranquille. Combien de guerres et d’épidémies, de ruines et de carnages pour aboutie à ce sourire voilé de larmes ? Ce n’était presque rien, quelques mesures d’une discrétion raffinée. Perdu dans ce songe, Xavier continuait à jouer, enfilant les morceaux l’un après l’autre.
Timothy gardait la tête baissée, emporté lui aussi par ce flot ; Il se persuadait que Xavier jouait pour lui, et peut-être était-ce en parie vrai. Il jouait pour tous ceux qu’il avait ailés dans sa longue vie, pour Marc, pour Sarah, pour Mamita. Mesure après mesure, il refaisait le chemin parcouru depuis le grand salon de la rue Goya jusqu’au piano solitaire de l’avenue Hoche et rejoignait l’enfant perdu. Il essayait d’exprimer sa douleur étonnée. Quand en un doux glissando, il laissa mourir les derniers arpèges, quand la dernière note parut se fondre dans une nuit immobile et sereine, il y eut un interminable silence. Xavier restait tête baissée, buste penché, épaules courbées...